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droit des petites fenêtres géminées et des colonnettes énigmatiques qu’il a étudiées dans ce monument. Serait-il donc trop audacieux d’attribuer les anomalies de goût qu’on remarque dans tant de constructions majorquines à l’intercallation d’anciens fragmens dans des constructions subséquentes ? De même qu’en France et en Italie le goût de la renaissance introduisit des médaillons et des bas-reliefs vraiment grecs et romains dans les ornemens de sculpture, n’est-il pas probable que les chrétiens de Majorque, après avoir renversé tous les ouvrages arabes, en utilisèrent les riches débris et les incrustèrent de plus en plus dans leurs constructions postérieures ? Quoi qu’il en soit, le Palacio-Real de Palma est d’un aspect fort pittoresque. Rien de plus irrégulier, de plus incommode et de plus sauvagement moyen-âge que cette habitation seigneuriale ; mais aussi rien de plus fier, de plus caractérisé, de plus hidalgo que ce manoir composé de galeries, de tours, de terrasses et d’arcades grimpant les unes sur les autres à une hauteur considérable, et terminées par un ange gothique, qui, du sein des nues, regarde l’Espagne par-dessus la mer[1].

Un quatrième monument fort remarquable est le palais de l’ayuntamiento, ouvrage du XVIe siècle, dont M. Laurens compare avec raison le style à celui des palais de Florence. Le toit est surtout re-

  1. Ce palais, qui renferme les archives, est la résidence du capitaine-général, le personnage le plus éminent de l’île. Voici comment M. Grasset de Saint-Sauveur décrit l’intérieur de cette résidence : « La première pièce est une espèce de vestibule servant de corps-de-garde. On passe à droite dans deux grandes salles, où à peine rencontre-t-on un siége. La troisième est la salle d’audience ; elle est décorée d’un trône en velours cramoisi enrichi de crépines en or, porté sur une estrade de trois marches couvertes d’un tapis. Aux deux côtés sont deux lions en bois doré. Le dais qui couvre le trône est également de velours cramoisi surmonté de panaches en plumes d’autruche. Au-dessus du trône sont suspendus les portraits du roi et de la reine. C’est dans cette salle que le général reçoit, les jours d’étiquette ou de gala, les différens corps de l’administration civile, les officiers de la garnison, et les étrangers de considération. » Le capitaine-général, faisant les fonctions de gouverneur, pour qui nous avions des lettres, nous fit en effet l’honneur de recevoir dans cette salle celui de nous qui se chargea d’aller les lui présenter. Notre compagnon trouva ce haut fonctionnaire près de son trône, le même à coup sûr que décrivait Grasset de Saint-Sauveur en 1807 ; car il était usé, fané, râpé, et quelque peu taché d’huile et de bougie. Les deux lions n’étaient plus guère dorés, mais ils faisaient toujours une grimace très féroce. Il n’y avait de changé que l’effigie royale ; cette fois, c’était l’innocente Isabelle, monstrueuse enseigne de cabaret, qui occupait le vieux cadre doré où ses augustes ancêtres s’étaient succédés comme les modèles dans le passe-partout d’un élève en peinture. Le gouverneur, pour être logé comme le duc d’Irénéus d’Hoffmann, n’en était pas moins un homme fort estimé et un prince fort affable.