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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

marquable par l’avancement de ses bords, comme ceux des palais florentins et des chalets suisses ; mais il a cela de particulier, qu’il est soutenu par des caissons à rosaces fort richement sculptées sur bois, alternées avec de longues cariatides couchées sous cet auvent, qu’elles semblent porter en gémissant, car la plupart d’entre elles ont la face cachée dans leurs mains. Je n’ai pas vu l’intérieur de cet édifice dans lequel se trouve la collection des portraits des grands hommes de Majorque. Au nombre de ces illustres personnages, M. Laurens a vu le fameux don Jaime, sous les traits d’un roi de carreau. Il y a vu aussi un très ancien tableau représentant les funérailles de Raymon Lulle, Majorquin, lequel offre une série très intéressante et très variée des anciens costumes revêtus par l’innombrable cortége du docteur illuminé. Enfin M. Laurens a vu dans ce palais consistorial un magnifique Saint Sébastien de Van-Dyck, dont personne, à Majorque, ne m’a daigné signaler l’existence. « Palma possède une école de dessin, ajoute M. Laurens, qui a déjà formé, dans notre XIXe siècle seulement, trente-six peintres, huit sculpteurs, onze architectes et six graveurs, tous professeurs célèbres, s’il faut en croire le dictionnaire des artistes célèbres de Majorque, que vient de publier le savant Antonio Furio. J’avoue ingénument que pendant mon séjour à Palma je ne me suis pas cru entouré de tant de grands hommes, et que je n’ai rien vu qui me fît deviner leur existence… Quelques riches familles conservent plusieurs tableaux de l’école espagnole… Mais si vous parcourez les magasins, si vous entrez dans la maison du simple citoyen, vous n’y trouverez que ces images coloriées étalées par des colporteurs sur nos places publiques, et qui ne trouvent accès en France que sous l’humble toit du pauvre paysan. «

Le palais dont Palma se glorifie le plus est celui du comte de Montenegro, vieillard octogénaire, autrefois capitaine-général, un des personnages de Majorque les plus illustres par la naissance et les plus importans par la richesse. Ce seigneur possède une bibliothèque que nous fûmes admis à visiter, mais dont je n’ouvris pas un seul volume, et dont je ne saurais absolument rien dire (tant mon respect pour les livres est voisin de l’épouvante), si un savant compatriote ne m’eût appris l’importance des trésors devant lesquels j’étais passé indifférent, comme le coq de la fable au milieu des perles. Ce compatriote[1], qui est resté près de deux ans en Catalogne et à Majorque

  1. M. Tastu, un de nos linguistes les plus érudits, et l’époux d’une de nos muses au talent le plus pur et au caractère le plus noble.