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pour y faire des études sur la langue romane, m’a communiqué obligeamment ses notes, et m’a autorisé avec une générosité, bien rare chez les érudits, à y puiser à discrétion. Je ne le ferai pas sans prévenir mon lecteur que ce voyageur a été aussi enthousiasmé de toutes choses à Majorque que j’y ai été désappointé. Je pourrais dire, pour expliquer cette divergence d’impressions, que, lors de mon séjour, la population majorquine s’était gênée et resserrée pour faire place à vingt mille Espagnols que la guerre avait refoulés, et que j’ai pu, sans erreur et sans prévention, trouver Palma moins habitable, et les Majorquins moins disposés à accueillir un nouveau surcroît d’étrangers qu’ils ne l’étaient sans doute deux ans auparavant. Mais j’aime mieux encourir le blâme d’un bienveillant redresseur que d’écrire sous une autre impression que la mienne propre. Je serai bien heureux, d’ailleurs, d’être contredit et réprimandé publiquement, comme je l’ai été en particulier ; car le public y gagnera un livre bien plus exact et bien plus intéressant sur Majorque que cette relation décousue, et peut-être injuste à mon insu, que je suis forcé de lui donner. Que M. Tastu publie donc son voyage ; je lirai avec grand contentement de cœur, je le jure, tout ce qui pourra me faire changer d’opinion sur les Majorquins : j’en ai connu quelques-uns que je voudrais pouvoir considérer comme les représentans du type général, et qui, je l’espère, ne douteront pas de mes sentimens à leur égard, si cet écrit tombe jamais entre leurs mains.

Je trouve donc dans les notes de M. Tastu, à l’endroit des richesses intellectuelles que possède encore Majorque, cette bibliothèque du comte de Montenegro, que j’ai parcourue peu révérencieusement à la suite du chapelain de la maison, occupé que j’étais d’examiner cet intérieur d’un vieux chevalier majorquin célibataire, intérieur triste et grave s’il en fut, régi silencieusement par un prêtre.

« Cette bibliothèque, dit M. Tastu, a été composée par l’oncle du comte de Montenegro, le cardinal Antonio Despuig, l’ami intime de Pie VI. Le savant cardinal avait réuni tout ce que l’Espagne, l’Italie et la France avaient de remarquable en bibliographie. La partie qui traite de la numismatique et des arts de l’antiquité y est surtout au grand complet.

« Parmi le petit nombre de manuscrits qu’on y trouve, il en est un fort curieux pour les amateurs de calligraphie : c’est un livre d’heures. Les miniatures en sont précieuses ; il est des meilleurs temps de l’art. L’amateur de blason y trouvera encore un armorial où sont dessinés avec leurs couleurs les écus d’armes de la noblesse espa-