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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

cupa ses tristes loisirs à décrire scientifiquement sa prison, et à retracer l’histoire des évènemens tragiques dont elle avait été le théâtre au temps des guerres du moyen-âge. Les Majorquins doivent aussi à son séjour dans leur île une excellente description de leur cathédrale et de leur Lonja. En un mot, ses lettres sur Majorque sont les meilleurs documens qu’on puisse consulter. Le même cachot qu’avait occupé Jovellanos, sous le règne parasite du prince de la Paix, reçut bientôt après une autre illustration scientifique et politique. Cette anecdote peu connue de la vie d’un homme aussi justement célèbre en France que Jovellanos l’est en Espagne, intéressera d’autant plus, qu’elle est un des chapitres romanesques d’une vie que l’amour de la science jeta dans mille aventures périlleuses et touchantes.

Chargé par Napoléon de la mesure du méridien, M. Arago était en 1808 à Majorque, sur la montagne appelée le Clot de Galatzo, lorsqu’il reçut la nouvelle des évènemens de Madrid et de l’enlèvement de Ferdinand. L’exaspération des habitans de Majorque fut telle alors qu’ils s’en prirent au savant français et se dirigèrent en foule vers le Clot de Galatzo pour le tuer. Cette montagne est située au-dessus de la côte où descendit Jaime Ier lorsqu’il conquit Majorque sur les Maures, et comme M. Arago y faisait souvent allumer des feux pour son usage, les Majorquins s’imaginèrent qu’il faisait des signaux à une escadre française portant une armée de débarquement. Un de ces insulaires nommé Damian, maître de timonerie sur le brick affecté par le gouvernement espagnol aux opérations de la mesure du méridien, résolut d’avertir M. Arago du danger qu’il courait. Il devança ses compatriotes, et lui porta en toute hâte des habits de marin pour le déguiser. M. Arago quitta aussitôt sa montagne et se rendit à Palma. Il rencontra en chemin ceux-là même qui allaient pour le mettre en pièces, et qui lui demandèrent des renseignemens sur le maudit gabacho dont ils voulaient se défaire. Parlant très bien la langue du pays, M. Arago répondit à toutes leurs questions, et ne fut pas reconnu.

En arrivant à Palma, il se rendit à son brick ; mais le capitaine don Manoel de Vacaro, qui jusque-là avait toujours déféré à ses ordres, refusa formellement de le conduire à Barcelone, et ne lui offrit à son bord pour tout refuge qu’une caisse dans laquelle, vérification faite, M. Arago ne pouvait tenir. Le lendemain, un attroupement menaçant s’étant formé sur le rivage, le capitaine Vacaro avertit M. Arago qu’il ne pouvait plus désormais répondre de sa vie, ajoutant, sur l’avis du capitaine-général, qu’il n’y avait pour lui