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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

pour contempler les heureux accidens qui résultaient de l’arrangement des lignes des montagnes ou de la mer avec les sommités des édifices de la ville. Ici, le talus intérieur du rempart était garni d’une effrayante haie d’aloès d’où sortaient par centaines ces hautes tiges dont l’inflorescence rappelle si bien un candélabre monumental. Au-delà, des groupes de palmiers s’élevaient dans les jardins au milieu des figuiers, des cactus, des orangers et des ricins arborescens ; plus loin apparaissaient des belvédères et des terrasses ombragées de vignes ; enfin, les aiguilles de la cathédrale, les clochers et les dômes des nombreuses églises se détachaient en silhouette sur le fond pur et lumineux du ciel. »

Une autre promenade dans laquelle les sympathies de M. Laurens ont rencontré les miennes, c’est celle des ruines du couvent de Saint-Dominique. Au bout d’un berceau de vigne soutenu par des piliers de marbre se trouvent quatre grands palmiers que l’élévation de ce jardin en terrasse fait paraître gigantesques, et qui font vraiment partie, à cette hauteur, des monumens de la ville avec lesquels leur cime se trouve de niveau. À travers leurs rameaux on aperçoit le sommet de la façade de Saint-Étienne, la tour massive de la célèbre horloge baléarique[1], et la tour de l’Ange du Palacio-Real.

  1. Cette horloge, que les deux principaux historiens de Majorque, Dameto et Mut, ont longuement décrite, fonctionnait encore il y a trente ans, et voici ce qu’en dit M. Grasset de Saint-Sauveur : « Cette machine, très ancienne, est appelée l’horloge du soleil. Elle marque les heures depuis le lever jusqu’au coucher de cet astre, suivant l’étendue plus ou moins grande de l’arc diurne et nocturne, de manière que le 10 juin elle frappe la première heure du jour à cinq heures et demie, et la quatorzième à sept et demie, la première de la nuit à huit et demie, la neuvième à quatre et demie de la matinée suivante. C’est l’inverse à commencer du 10 décembre. Pendant tout le cours de l’année, les heures sont exactement réglées, suivant les variations du lever et du coucher du soleil. Cette horloge n’est pas d’une grande utilité pour les gens du pays, qui se règlent d’après les horloges modernes ; mais elle sert aux jardiniers pour déterminer les heures de l’arrosage. On ignore d’où et à quelle époque cette machine a été apportée à Palma ; on ne suppose pas que ce soit d’Espagne, de France, d’Allemagne ou d’Italie, où les Romains avaient introduit l’usage de diviser le jour en douze heures, à commencer au lever du soleil. Cependant un ecclésiastique, recteur de l’université de Palma, assure, dans la troisième partie d’un ouvrage sur la religion séraphique, que des Juifs fugitifs, du temps de Vespasien, retirèrent cette fameuse horloge des ruines de Jérusalem et la transportèrent à Majorque, où ils s’étaient réfugiés. Voilà une origine merveilleuse, conséquente avec le penchant caractéristique de nos insulaires pour tout ce qui tient du prodige. L’historien Dameto et Mut, son continuateur, ne font remonter qu’à l’année 1385 l’antiquité de l’horloge baléarique. Elle fut achetée des pères dominicains et placée dans la tour où elle existe. » (Voyage aux îles Baléares et Pithiases, 1807.)