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Ce couvent de l’inquisition, qui n’offre plus qu’un monceau de débris, où quelques arbrisseaux et quelques plantes aromatiques percent çà et là les décombres, n’est pas tombé sous la main du temps. Une main plus prompte et plus inexorable, celle des révolutions, a renversé et presque mis en poudre, il y a peu d’années, ce monument, que l’on dit avoir été un chef-d’œuvre, et dont les vestiges, les fragmens de riche mosaïque, quelques arcs légers encore debout et se dressant dans le vide comme des squelettes, attestent du moins la magnificence. C’est un grand sujet d’indignation pour l’aristocratie palmesane, et une source de regrets bien légitimes pour les artistes, que la destruction de ces sanctuaires de l’art catholique dans toute l’Espagne. Il y a dix ans, peut-être eussé-je été, moi aussi, plus frappé du vandalisme de cette destruction que de la page historique dont elle est la vignette. Mais quoiqu’on puisse avec raison, comme le fait M. Marliani dans son Histoire politique de l’Espagne moderne, déplorer le côté faible et violent à la fois des mesures que ce décret devait entraîner, j’avoue qu’au milieu de ces ruines je sentais une émotion qui n’était pas la tristesse que les ruines inspirent ordinairement. La foudre était tombée là, et la foudre est un instrument aveugle, une force brutale comme la colère de l’homme ; mais la loi providentielle qui gouverne les élémens et préside à leurs apparens désordres sait bien que les principes d’une vie nouvelle sont cachés dans la cendre des débris. Il y eut dans l’atmosphère politique de l’Espagne, le jour où les couvens tombèrent, quelque chose d’analogue à ce besoin de renouvellement qu’éprouve la nature dans ses convulsions fécondes. Je ne crois pas ce qu’on m’a dit à Palma, que quelques mécontens avides de vengeances ou de dépouilles avaient consommé cet acte de violence à la face de la population consternée. Il faut beaucoup de mécontens pour réduire ainsi en poussière une énorme masse de bâtimens, et il faut qu’il y ait bien peu de sympathies dans une population, pour qu’elle voie ainsi accomplir un décret contre lequel elle protesterait dans son cœur. Je crois bien plutôt que la première pierre arrachée du sommet de ces dômes fit tomber de l’ame du peuple un sentiment de crainte et de respect qui n’y tenait pas plus que le clocher monacal sur sa base, et que chacun, sentant remuer ses entrailles par une impulsion mystérieuse et soudaine, s’élança sur le cadavre avec un mélange de courage et d’effroi, de fureur et de remords. Le monachisme protégeait bien des abus et caressait bien des égoïsmes ; la dévotion est bien puissante en Espagne, et sans doute plus d’un