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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

— Et vous, mon fils, auriez-vous poussé l’amour de l’art et de la poésie jusqu’à vivre ici sans regret ?

— Je m’imagine que c’eût été pour moi la plus belle vie du monde. Oh ! que ce couvent devait être vaste et d’un noble style ! Que ces vestiges annoncent de splendeur et d’élégance ! Qu’il devait être doux de venir ici, le soir, respirer une douce brise, et rêver au bruit de la mer, lorsque ces légères galeries étaient pavées de riches mosaïques, que des eaux cristallines murmuraient dans des bassins de marbre, et qu’une lampe d’argent s’allumait comme une pâle étoile au fond du sanctuaire ! De quelle paix profonde, de quel majestueux silence vous deviez jouir, lorsque le respect et la confiance des hommes vous entouraient d’une invincible enceinte, et qu’on se signait en baissant la voix chaque fois qu’on passait devant vos mystérieux portiques ! Eh ! qui ne voudrait pouvoir abjurer tous les soucis, toutes les fatigues et toutes les ambitions de la vie sociale, pour venir s’enterrer ici, dans le calme et l’oubli du monde entier, à la condition d’y rester artiste et d’y pouvoir consacrer dix ans, vingt ans peut-être, à un seul tableau qu’on polirait lentement comme un diamant précieux, et qu’on verrait placer sur un autel, non pour y être jugé et critiqué par le premier ignorant venu, mais salué et invoqué comme une digne représentation de la Divinité même !

— Étranger, dit le moine d’un ton sévère, tes paroles sont pleines d’orgueil, et tes rêves ne sont que vanité. Dans cet art dont tu parles avec tant d’emphase et que tu fais si grand, tu ne vois que toi-même, et l’isolement que tu souhaiterais ne serait à tes yeux qu’un moyen de te grandir et de te déifier. Je comprends maintenant comment tu peux croire à cet art égoïste sans croire à aucune religion ni à aucune société. Mais peut-être n’as-tu pas mûri ces choses dans ton esprit avant de les dire ; peut-être ignores-tu ce qui se passait dans ces antres de corruption et de terreur. Viens avec moi, et peut-être ce que je vais t’en apprendre changera tes sentimens et tes pensées.

À travers des montagnes de décombres et des précipices incertains et croulans, le moine conduisit, non sans danger, le jeune voyageur au centre du monastère détruit, et là, à la place où avaient été les prisons, il le fit descendre avec précaution le long des parois d’un massif d’architecture épais de quinze pieds, que la bêche et la pioche avaient fendu dans toute sa profondeur. Au sein de cette affreuse croûte de pierre et de ciment s’ouvraient comme des gueules béantes du sein de la terre, des loges sans air et sans jour, séparées les unes des autres par des massifs aussi épais que ceux qui pesaient sur