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tion naturelle et fatale de la nature divine, et celui qui, tout en conservant la création, altère ou plutôt détruit la nature de Dieu, parce qu’il substitue à l’acte libre d’une intelligence une sorte d’action nécessaire et aveugle, qui n’est qu’un hasard subjectif, c’est-à-dire un pur néant. Mais, quand il s’agit de produire lui-même une doctrine, son embarras se trahit par la multitude des métaphores qu’il emploie. L’abus des métaphores a ici un inconvénient particulier ; car, depuis le temps que l’esprit humain s’épuise en vains efforts pour expliquer la création, tant de métaphores ont été employées, qu’il est difficile d’en trouver une qui ne caractérise une école et un système. M. Lamennais, qui s’empresse tant de rejeter l’émanation, emploie souvent le mot d’écoulement : « toute force est un écoulement du père, » ou le mot de participation. Celui de génération, qu’il emploie aussi, ne semble pas plus heureux : « Nous comprenons, dit-il, que la substance infinie peut se communiquer sans éprouver aucun changement ; car l’homme aussi, dans l’acte de la génération, communique sa propre substance, sans que celle-ci soit altérée, diminuée, changée. » Il n’est pas nécessaire d’entendre à fond la métaphysique pour comprendre que le mot substance est pris ici dans deux acceptions différentes, c’est d’ailleurs expliquer un mystère par un autre, et M. Lamennais sans doute ne tient pas à cette comparaison. Participation, écoulement, génération, tout cela ne diffère guère de l’émanation ; on ne comprend pas pourquoi M. Lamennais les préfère, ni comment l’émanation implique à ses yeux le panthéisme, tandis que l’écoulement ne l’implique pas. Il est vrai que M. Lamennais ajoute que cet écoulement a lieu par un acte libre de la volonté divine et que Dieu, par cet acte, réalise hors de lui ses propres idées. Mais ceux qui ont employé le mot d’émanation ont-ils donc enseigné que le monde émane de Dieu, tout formé, ainsi que nous le voyons ? Dans l’école d’Alexandrie, ou du moins chez un grand nombre de philosophes de cette école, l’émanation n’est autre chose qu’une émanation de substance ; et Dieu donne une forme à cette substance, parce qu’il le veut, et parce qu’il le juge raisonnable. C’est pour cela qu’on distingue le père du monde et l’auteur du monde, et qu’on appelle Dieu un artiste et un architecte. C’est donc le propre système de l’Esquisse. M. Lamennais se rapproche d’autant plus des alexandrins que les écoulemens de son Dieu, comme les émanations du leur, ressemblent au principe dont ils sortent, et ne font qu’en reproduire l’image de plus en plus affaiblie. La conséquence extrême de cette théorie, conséquence proclamée par M. Lamennais, qu’il y