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ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE.

a de la pensée jusque dans les êtres inorganiques, est aussi reconnue par Plotin ; et il y a de plus cet autre rapport que, pour les alexandrins comme pour M. Lamennais, la matière n’est rien par elle-même ; elle est la négation de l’être, la limite, inintelligible en soi, et qui pourtant sert à la connaissance. Quand M. Lamennais emploie ces mêmes expressions, il sait bien qu’elles ne lui appartiennent pas, car il est aussi érudit qu’habile, et le rapprochement que nous indiquons ici entre sa doctrine et celle des alexandrins est sans nul doute le résultat d’une filiation avouée et reconnue.

Ce que M. Lamennais ajoute, que Dieu, dans la création, réalise ses idées hors de lui, présente encore quelques difficultés. Si l’acte de la création consiste à réaliser les idées, les idées avant la création n’avaient donc en Dieu que cette réalité que l’on appelle en métaphysique réalité subjective ? elles n’étaient que de simples possibles ? leur image extérieure, produit et résultat de la création, a plus de réalité qu’elles ? Cela est évidemment contraire aux principes de M. Lamennais, qui, sur ce point comme sur tant d’autres, se range à l’avis de Platon, et considère les idées divines comme les archétypes de tout ce que le monde renferme, comme des existences réelles, plus réelles que leurs images, qui occupent nos sens. La création est donc si loin de réaliser les idées de Dieu, qu’elle fait précisément une opération toute contraire. D’ailleurs, comment les idées de Dieu seraient-elles réalisées hors de lui, s’il est vrai comme M. Lamennais le démontre ailleurs, que Dieu est le lieu universel, que rien n’est ni ne peut être hors de lui, que nous sommes en lui, que nous vivons, que nous nous mouvons en lui ; que c’est une conclusion nécessaire de l’omniprésence, et qu’enfin c’est dire une absurdité manifeste, que de placer quelque chose hors de Dieu ?

Cela ne prouve pas (à Dieu ne plaise !) que M. Lamennais soit panthéiste, même à son insu, ni qu’il ait résolu moins philosophiquement que ses devanciers le problème insoluble de la création. Que l’on appelle la création une imitation comme Pythagore, ou une participation comme Platon, ou une émanation, un écoulement, une irradiation comme l’école d’Alexandrie, ou une fulguration comme Leibnitz ; ou une chute, comme Schelling, ou un développement comme Hegel, ou bien que l’on emprunte aux Indiens cette analogie de l’araignée et de la toile, ce sont là, comme l’a dit Aristote, des métaphores poétiques, une pure affaire de style ; et il ne faut pas croire que, pour avoir changé un mot, on a modifié un système. Il suffit qu’on admette, comme M. Lamennais, qu’il n’y a qu’un seul