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ment sacrifiée, ou d’y ajouter des récitatifs, c’est-à-dire d’insolentes maculatures, pour qu’il puisse être admis à l’Opéra. La musique n’est pas d’un genre, mais de tous ; n’oublions pas que c’est l’art romantique par excellence. Qui osera classer le Don Juan de Mozart ? Quant à moi, je n’ai jamais rien compris à ces dénominations singulières ; qu’est-ce par exemple qu’un chanteur d’opéra-comique ? que chante-t-il ? que ne chante-t-il pas ? Existe-t-il un point où le chanteur d’opéra-comique cesse, un point où le chanteur sérieux commence ? Alors, comme toutes les grandes œuvres musicales, comme toutes les partitions de Mozart, de Weber, de Beethoven et de Rossini, admettent cette variété de style dont nous parlions ; comme le Freyschütz, Oberon, la Gazza, Fidelio, se composent d’opéra-comique aussi bien que de grand opéra, il faudra donc renoncer à ces chefs-d’œuvre, ou, si l’on se décide à les exécuter, le même chanteur ne pourra suffire à son rôle ; il en faudra deux, un pour la partie légère et comique, l’autre pour la partie sérieuse et dramatique. On se rappelle à ce sujet ces théâtres singuliers, issus, eux aussi, du privilége, où l’on voyait un comédien gesticuler vaillamment sur la scène, tandis qu’un autre parlait ou chantait pour lui dans la coulisse. Le privilége au théâtre n’a jamais fait que des bâtards. Comment voulez-vous que le génie, accoutumé à marcher droit et la tête haute, consente jamais à s’aventurer dans ces labyrinthes de règlemens et de conditions inextricables ? Si les grands maîtres étrangers, si Rossini, Bellini, Meyerbeer lui-même, ont toujours soigneusement évité d’écrire pour l’Opéra-Comique, c’est qu’ils n’en sauraient comprendre l’économie ; c’est qu’il n’a pu leur entrer dans la cervelle que, telle situation étant donnée, un musicien doive s’abstenir de certains effets, tout simplement parce qu’il écrit pour le théâtre Favart, au lieu d’écrire pour le théâtre Lepelletier. On ne fait pas ainsi de la musique une question de rue et de quartier. Il n’y a en somme ni chanteurs de grand opéra ni chanteurs d’opéra-comique ; il y a de grands et de petits chanteurs, voilà tout. Le plus noble virtuose dont notre scène s’honore, celui qui sans doute a le plus ardemment travaillé à la régénération de la musique française, Nourrit, chantait en même temps la Vestale, Guillaume Tell et la Dame Blanche.

En Allemagne, on ne sait rien de ces subtilités ; aussi le répertoire d’un grand théâtre de musique embrasse à la fois toutes les compositions anciennes et modernes, étrangères et nationales, tout depuis le Don Juan, l’Iphigénie, la Vestale, le Freyschütz, et l’Eurianthe jusqu’à la Sonnanbula, à la Lucia, à l’Ambassadrice, jusqu’au Postillon de Lonjumeau ; et pour quelques phrases de dialogue jetées plus ou moins dans le texte musical, on ne se croit pas dans la nécessité de créer un genre, de bâtir une salle et d’engager de nouveaux chanteurs, dont l’emploi sera de jouer d’abord, puis de chanter s’ils peuvent, tandis qu’il y en aura d’autres, à quelques pas de là, qui devront sur toute chose s’étudier à bien chanter. Dans une pareille organisation, on conçoit quelle responsabilité doit peser sur la cantatrice qui prétend régner seule et sans partage. Il s’agit ici, en effet, de tenir tête à toutes les