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chinardi et la jeune Allemande dont il est question dans cette esquisse. Ces deux voix ont les mêmes principes radicaux ; seulement la voix de la Persiani, brisée dès l’origine par le travail qui l’a déflorée, n’a pour ainsi dire point eu de jeunesse, tandis que la voix de Sophie Loewe, au contraire, fraîche, sonore, métallique, résiste à l’étude et n’en sort que plus éclatante et mieux trempée, comme l’acier de la fournaise. Il faut avoir entendu Sophie Loewe dans la sublime cantate de Beethoven, pour se faire une idée de l’art vraiment prodigieux avec lequel elle a su égaliser les registres de sa voix, dont il me semble qu’on pourrait définir ainsi les divisions originelles entre le mi et le sol, jonction de la voix de poitrine avec la voix de mezzo-falso ; entre le et le fa, jonction de la voix de mezzo-falso avec la voix de tête pure. Ce dernier fa surtout vibre dans son gosier d’un éclat incomparable. C’est sur cette note qu’elle file si admirablement le son merveilleux dont elle entoure comme d’une vague auréole le nom d’Adélaïde à l’avant-dernière mesure du morceau. Quant à la flexibilité de cette voix, il n’y a rien dans Rossini, dans Auber, qu’elle n’aborde avec une hardiesse, un aplomb, une verve musicale, qui vous étonnent. Aucun trait ne l’effarouche, aucune gamme chromatique ne l’épouvante ; elle s’y lance à tire d’aile comme l’oiseau dans l’air, et s’y roule avec tant de fantaisie et de caprice, qu’on ne dirait jamais que le chant large et spianato est avant tout son élément natal. En effet, l’agilité de la voix de Sophie Loewe nous semble plutôt un résultat du travail, d’un travail opiniâtre, intelligent, heureux, qu’un don de la nature ; c’est là plutôt une chose conquise qu’une de ces facultés innées qui la plupart du temps excluent chez une cantatrice la force d’ame et d’expression et l’entraînent irrésistiblement contre sa volonté, son goût même.

Le talent de Sophie Loewe procède comme sa voix, dont il a le caractère et la variété. Nous le répétons, ce qui distingue entre toutes cette cantatrice, c’est un assemblage original, singulier peut-être, des facultés les plus diverses, et qui, habilement distribuées et maintenues, composent l’harmonie de sa nature. Ainsi elle a, d’une part, plus de vocalisation que la Pasta, la Malibran, les grandes cantatrices purement dramatiques ; de l’autre, plus de largeur de style, de portamento, que la Sontag, Mme Damoreau ou même la Persiani. Sa méthode est généralement bonne et puisée aux sources italiennes. Chaque son vibre ou porte, selon le caractère qu’elle imprime à la musique, dans les régions modérées surtout ; la mezza di voce sort avec richesse et plénitude. Mais sa manière de filer les sons dans certaines parties de sa voix entre le et le la par exemple, dépasse tout ce qu’on a pu entendre dans ce genre. C’est une pureté métallique, argentine, une délicatesse sans exemple ; il y a quelque chose de vague, de poétique, de merveilleux dans ce fil sonore qui naît au-dessus du lac paisible et transparent de l’harmonie, s’étend et se prolonge sans se briser jamais, et finit par s’exhaler moriendo dans les vapeurs de l’air, comme ces imperceptibles tissus qu’avril balance dans la lumière du printemps. Avec plus d’haleine, la Grisi, dans le récitatif qui précède l’air de Casta diva, toucherait