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nord et le sud de la Hollande présentent le même aspect, que partout on retrouve la même plaine, les mêmes villes en briques, coupées par les mêmes canaux, on comprend que les voyageurs conduits dans ce pays par une pure curiosité de touriste se hâtent de visiter quelques points importans, et s’en aillent bien vite chercher par-delà le Rhin des sites plus pittoresques et une vie plus animée. Mais vienne un étranger qui ne voudra pas s’en tenir à l’aspect extérieur du pays, qui essaiera de pénétrer dans les habitudes domestiques, dans le génie commercial des Hollandais, de briser cette enveloppe parfois un peu sèche et un peu rude qui cache tant de qualités excellentes, et il aimera la Hollande, et il sera heureux et fier de lui rendre la justice qui lui est accordée si rarement.

Rien de plus admirable comme œuvre d’industrie et de patience que le sol même de la Hollande, tel qu’il est devenu sous la main de l’homme. Quand les vieilles tribus germaniques errant le long de la Meuse et du Rhin vinrent s’établir dans cette contrée, elles n’y trouvèrent qu’une terre si mouvante et si humide, qu’on ne savait, dit Tacite, s’il fallait l’appeler de la terre ou de l’eau. Chaque chef de famille s’en allait alors de distance en distance, cherchant une ondulation de terrain, un tertre de gazon pour y bâtir sa frêle cabane, prêt à fuir avec sa femme et ses enfans, dès que l’eau du fleuve commençait à déborder. Asservis ainsi à tous les accidens du sol et de l’atmosphère, un jour vint où ces hommes voulurent essayer de les prévenir et de les combattre. Ils desséchèrent les marais en creusant des canaux ; ils ouvrirent un débouché à l’eau stagnante, et commencèrent à cultiver le terrain. Mais de temps à autre le fleuve enflé bondissait hors de son lit, la mer en courroux envahissait leurs domaines et détruisait le fruit de leurs travaux. Il fallut élever une palissade contre le fleuve et une autre plus forte contre la mer. « La nature, dit un poète hollandais, n’a rien fait pour nous ; elle nous a refusé ses dons, et tout ce que l’on voit dans notre pays est l’œuvre du travail, du zèle, de l’industrie[1]. »

Une fois qu’on eut ainsi mis la main à l’œuvre, il s’établit une lutte incessante entre l’homme et la nature, entre la population des plaines de la Hollande et les fleuves et la mer qui les dominent. Tout ce pays, placé au-dessous du niveau de l’Océan, est comme une grande cité assiégée par une armée ennemie. Les remparts sont bâtis, les sentinelles sont à leur poste ; à la moindre apparence de danger, le tocsin

  1. Helmers, De Hollandsche Natie.