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REVUE. — CHRONIQUE.

colons qui offriraient des garanties, que de faire chaque année d’énormes dépenses au hasard, comme si l’Algérie était un sol sur lequel nous fussions condamnés à toujours semer sans jamais moissonner.

La discussion de la loi des douanes continue assez péniblement et sans attirer sur les bancs de la chambre un nombre de députés proportionné à l’importance du sujet. Les argumens des producteurs nous ont rappelé la dernière enquête commerciale ; nous y avons retrouvé cette même logique si naïve et si ingénieuse, qui a des armes au service de tous les intérêts et ne recule devant aucune contradiction. Peu importe la route ; l’essentiel est d’arriver au même résultat, d’atteindre le même but, la protection, et une protection qui se rapproche le plus possible de la prohibition. Aussi ceux qui ne recherchent dans les débats parlementaires que le plaisir, ont-ils dû s’amuser en entendant tous ces intérêts alarmés s’écrier sur tous les tons : Protégez-nous !

Nous sommes une industrie naissante, faible encore, qui tâtonne ; pendant quelques années nous ferons payer cher aux consommateurs nos essais et notre inexpérience ; mais ensuite, lorsque nous aurons gagné quelques millions aux dépens de nos chers concitoyens, nous livrerons des trésors à la France : protégez-nous !

Nous sommes une vieille industrie, aussi vieille que l’art de coudre ; y a-t-il rien de plus respectable, de plus digne de soutien que la vieillesse ? protégez-nous !

Nous sommes très habiles aujourd’hui : nos produits ne redoutent aucune comparaison ; demandez plutôt à nos savans. En conséquence (oh ! puissance de la logique industrielle !) protégez-nous plus que vous ne l’avez fait jusqu’ici !

Nous employons beaucoup de matières premières, beaucoup de produits agricoles : protégez-nous !

Puis, nous employons beaucoup de travail et très peu de matières premières ; c’est bien nous qui avons droit à la protection.

Nous ne pouvons rien vous promettre. Nous ne pourrons jamais réaliser certains produits étrangers, les châles de l’Inde par exemple. Les nôtres seront toujours d’un travail comparativement imparfait. Il est donc essentiel de nous protéger. — Une fois qu’on se place au point de vue des intérêts particuliers, ce dernier raisonnement est évidemment le plus concluant de tous.

L’intérêt général, les consommateurs, le public, nul n’en parle. L’ouvrier ne peut consommer de viande, tant elle est chère. Qu’importe ? L’essentiel est que les propriétaires d’herbages retirent une bonne rente de leurs domaines.

C’est là, pour ceux qui connaissent ces matières, tout ce qui se cache sous ces mots imposans et pompeux : l’intérêt de l’agriculture. C’est la question de savoir si on retirera un pour cent de plus ou de moins des sommes qu’on a placées en fonds de terre.