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EXPÉDITION DE L’ASTROLABE.

figurent, et c’est le soir seulement qu’elle a lieu. Le coup d’œil en est charmant. Tous les palmiers de la place publique sont garnis de torches de résine, qui répandent sur cette scène des clartés joyeuses. Les éclats de rire des jeunes filles préludent à la fête et ne cessent que quand les tambours ont donné le signal. Alors vingt danseuses, demi-nues, les cheveux garnis de roses de la Chine et le corps enveloppé de guirlandes, se répandent au milieu de l’enceinte et y décrivent des ondulations gracieuses. Les mouvemens de ces femmes sont d’abord lents et mesurés : elles pivotent sur elles-mêmes, ou s’inclinent toutes dans le même sens avec une précision merveilleuse. D’autres fois elles élèvent ensemble leurs mains au-dessus de leurs têtes de manière à se former une auréole, puis elles les ramènent avec une sorte de pudeur sur leurs poitrines nues. Par momens elles bondissent sur un pied et se replient ensuite en imitant le balancement de la vague. Cette danse calme laisse ressortir tout le luxe de la toilette, les bandes de tapa drapées avec goût, les fleurs, les colliers et la verroterie ; aussi la coquetterie la prolonge-t-elle volontiers. Mais peu à peu le mouvement devient plus vif, et les poses s’animent avec la musique. Dans l’orchestre comme parmi les figurantes, la symétrie fait alors place au désordre, et cette danse peu édifiante ne finit pas même quand les flambeaux se sont éteints.

Les traditions religieuses des Tongas se réduisent à quelques croyances vagues. Ces insulaires adorent les esprits sous le nom d’Hotouas, et çà et là, dans l’intérieur des terres, on trouve des chapelles qui leur sont dédiées et qu’entourent des casuarinas, arbres sacrés du pays. Ainsi l’idolâtrie de ces insulaires est plus emblématique que réelle, et l’on n’a pas retrouvé chez eux les fétiches qui ornaient les temples de la Polynésie orientale. Peut-être faudrait-il plutôt regarder ce culte comme un naturalisme analogue à la doctrine des esprits, si répandue sur le continent asiatique. Une circonstance fort singulière, c’est qu’une légende locale rappelle l’histoire biblique de Caïn et d’Abel dans des termes auxquels il est impossible de se méprendre. Voici ce curieux morceau

« Le dieu Tangaloa et ses deux fils allèrent habiter Bolotou. Il y avait demeuré long-temps quand il parla ainsi à ses deux fils : — Allez avec vos femmes et habitez dans le monde à Tonga. Divisez la terre en deux et peuplez-la séparément. — Ils s’en allèrent. Le plus jeune des deux fils était fort habile. Le premier, il fit des haches, des colliers de verre, des étoffes et des miroirs. L’aîné était tout autre : c’était un fainéant. Il ne faisait que se promener, dormir