Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/648

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
640
REVUE DES DEUX MONDES.

et convoiter les ouvrages de son frère. Ennuyé de les demander, il pensa à le tuer et se cacha pour cette mauvaise action. Il rencontra un jour son frère qui se promenait, et il l’assomma. Alors leur père arriva de Bolotou, enflammé de colère, et l’interrogea : — Pourquoi as-tu tué ton frère ? fuis, malheureux, fuis ! Ensuite Tongaloa adressa la parole à la famille de la victime. — Lancez vos pirogues, dit-il, faites route à l’est vers la grande terre. Votre peau sera blanche comme votre ame, car votre ame est belle. Vous serez habiles, vous ferez des haches, toutes sortes de bonnes choses et de grandes pirogues. — Puis Tangaloa dit au frère aîné : — Vous serez noir, car votre âme est mauvaise, et vous serez dépourvu de tout. Vous n’aurez point de bonnes choses, et vous n’irez pas à la terre de votre frère. Comment pourriez-vous y aller avec vos mauvaises pirogues ? Mais votre frère viendra quelquefois à Tonga pour commercer avec vous. »

Cet échantillon des légendes de l’archipel de Tonga, s’il est vraiment authentique, comme l’assure Mariner, serait des plus précieux, car il renfermerait à la fois une analogie frappante avec les livres sacrés et une prophétie singulière touchant les voyages de découvertes des Européens.

Pour leur culte, tout idéal, les Tongas n’ont point de prêtres proprement dits. Le sacerdoce est un fait accidentel, qui se manifeste pour un homme à un jour, à une heure donnée. Le dieu l’inspire, aussitôt il est prêtre ; il sort de la condition humaine, il passe à l’état de pure essence. Tant que l’extase dure, ce caractère persiste ; il cesse quand le souffle divin n’anime plus l’homme. Aussi les prêtres appartiennent-ils, dans ces îles, à la classe inférieure. Aucun crédit ne s’attache à leurs fonctions, qui exigent une grande habileté de mise en scène, et rappellent les phénomènes extérieurs par lesquels se révélaient les anciennes pythonisses. Un prêtre tonga doit d’abord s’abandonner à une profonde mélancolie ; il lutte avec le dieu et cherche à le vaincre : vaincu à son tour, il laisse échapper des révélations confuses et tombe dans une crise nerveuse dont il ne se relève que pour faire un excellent repas. Voilà le rôle ; il n’est pas fait pour exciter l’envie. Les prêtres sont également consultés au sujet des malades que l’on promène de chapelle en chapelle. Ils paraissent encore, quoique d’une manière secondaire, dans les fêtes publiques et dans les funérailles, qui sont les plus belles de ces fêtes. C’est là qu’on voit accourir des populations entières chargées d’offrandes et prolongeant leur deuil pendant des mois entiers.