Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/649

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
641
EXPÉDITION DE L’ASTROLABE.

Quatre jours s’étaient à peine écoulés depuis l’arrivée de l’Astrolabe et de la Zélée, à Vavao, et déjà les deux corvettes tournaient leurs proues vers d’autres rivages. Les missionnaires anglicans, MM. Brooks et Thomas, avaient obtenu du commandant leur passage jusqu’au îles Hapaï, où on les déposa deux jours après. Le nom des îles Hapaï rappelle involontairement celui de Finau, le premier homme de guerre qu’ait produit l’archipel de Tonga. Finau joignait à un courage indomptable une sagacité surprenante. Il devinait notre civilisation européenne et en faisait la critique avec beaucoup de justesse. Deux chefs de Tonga-Tabou, qui avaient passé quinze mois dans la colonie anglaise de Sydney, lui racontaient un jour qu’on pouvait y mourir de faim en face de magasins regorgeant de vivres. — Est-il possible ! disait ce grand chef. — Sans doute, reprenait son interlocuteur, pour se nourrir, il faut de l’argent. — L’argent, s’écriait alors Finau, de quoi est-ce fait ? Est-ce du fer ? Peut-on en fabriquer des armes ou des instrumens utiles ? Si l’on peut en fabriquer, pourquoi chacun ne s’occupe-t-il pas à faire de l’argent pour l’échanger contre les objets qu’il désire ? » Et son indignation s’exhalait en termes très vifs. Le chef tonga cherchait à le calmer et à l’éclairer. — Voici ce que c’est, disait-il : l’argent est moins embarrassant que les biens ; il est très commode de changer ses biens pour de l’argent, puisqu’en retour on peut changer son argent contre des biens toutes les fois qu’on le désire. Les biens peuvent se gâter, surtout les provisions, mais l’argent ne peut s’altérer. — Malgré cette explication, Finau persistait et répliquait : — Non, cela ne doit pas être ainsi ; il est absurde d’accorder à un métal une valeur qu’il n’a pas. Si l’on employait à cela du fer, ce serait bien : on pourrait en faire des couteaux, des ciseaux, des haches ; mais de l’argent, à quoi bon ? Si vous avez des ignames de trop, vous les troquez contre des étoffes. L’argent sans doute est plus commode ; il ne peut se gâter ou s’user, mais alors on l’enterre, au lieu de le partager avec ses voisins, comme il convient à un noble chef. On devient avare et égoïste. On ne peut le devenir avec des provisions ; il faut les échanger ou les donner. »

Voyez-vous ce roi polynésien parlant la langue de nos économistes, et défendant les valeurs en nature contre les valeurs monétaires ! Ce n’est plus là un sauvage, mais un théoricien, un professeur, un philosophe.

Cette famille des Finau fut féconde en hommes remarquables de plus d’un genre. Le père avait porté la guerre dans les moindres îlots de l’archipel : sans redouter les représailles, il avait surpris plusieurs navires