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roi. La seconde tasse fut pour Tanoa, qui la fit passer au commandant. Celui-ci feignit d’y porter les lèvres et la renvoya à Simonet, qui la vida d’un trait. Les chefs indigènes burent ensuite ; le reste fut distribué aux matelots, qui s’accommodèrent sans peine de cette liqueur épicée. Après le kava, on apporta des fruits, du poisson, des ignames, et ce repas termina la fête.

De la place publique, le roi se rendit à son palais, dont il fit les honneurs à M. d’Urville et aux officiers. Ce palais est une case vaste et belle de plus de quarante pieds de haut. Les habitans de trente villages y ont travaillé sans relâche pendant un mois. Elle a deux portes, dont l’une est exclusivement destinée au roi et à la reine ; la franchir est un crime que la mort seule peut expier. En général les habitations de Pao sont assez bien construites, et leurs toitures en bambous recouvertes de nattes ne manquent pas d’une certaine élégance. Il est vrai que l’archipel de Viti renferme le peuple le plus intelligent de toute la Mélanésie, et Pao l’une des tribus les plus civilisées de l’archipel de Viti. Le voisinage des races polynésiennes et les relations qu’il entraîne ont contribué sans doute à ce résultat. Les naturels de Pao ont le teint fuligineux ; ils sont grands, robustes, bien musclés, marchent presque nus, disposent leurs cheveux sur leur tête en forme de turban, ne se tatouent pas, mais se pratiquent sur la peau des incisions profondes. Les femmes et les filles, tenues dans une condition inférieure, s’occupent surtout des travaux du ménage. Guerriers et anthropophages, les naturels ont pour armes le casse-tête, la lance, l’arc, les flèches, et les manient avec une adresse remarquable. Habiles dans l’art de la navigation, ils exécutent des voyages de trois cents lieues sur de frêles pirogues ; en fait d’industrie, ils connaissent la fabrication des paniers et des nattes, et celle de poteries grossières.

Comme chez tous les cannibales, la guerre parmi ces tribus ne se fait que dans un seul dessein, celui de faire des prisonniers. À diverses époques de l’année, on célèbre des réjouissances publiques qui exigent un certain nombre de victimes. Malheur alors aux naturels qui n’ont point d’asile, comme, par exemple, les habitans de Piva, errans depuis le matin, et leur chef Nakalassé. On fait la chasse aux vagabonds comme à une sorte de gibier, et on ajoute ce supplément au produit de la guerre. Enfin, quand tous ces moyens sont insuffisans, on sacrifie quelques femmes de la tribu, qui sont ainsi dévorées par leurs proches. Dans une occasion semblable, le vieux Tanoa avait fait récemment assommer trente femmes, pour défrayer un repas