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qui ont porté si loin l’influence de la langue et des idées françaises, disaient avec hardiesse des choses nouvelles capables d’exciter les passions, d’ébranler les croyances et de frapper l’imagination, tandis que leurs admirables devanciers ne faisaient que reproduire sous des formes belles, mais anciennes, des principes déjà connus. En Italie, d’autres causes contribuèrent aussi à cette invasion de la littérature française. On croit généralement, et l’on répète sans cesse, en-deçà des Alpes, que le XVIIe siècle a été, pour la littérature italienne, une époque de décadence, et l’on semble oublier que, si Achillini et le chevalier Marino prodiguaient alors des concetti que l’Europe entière admirait et qui valaient à leurs auteurs de riches pensions, ce siècle, qui fut celui de Galilée, de Torricelli, de Redi et de l’académie del Cimento, vit la réforme de la philosophie en Italie, et que ces grands penseurs furent aussi d’éminens écrivains. La littérature, la langue, les arts ne déclinèrent en Italie qu’au XVIIIe siècle, et l’on sait combien, aux époques de décadence, on est disposé à accueillir les littératures étrangères. D’ailleurs, c’était alors le siècle des princes réformateurs ; et, comme souvent ils rencontraient des obstacles dans les pays qu’ils gouvernaient, ils s’aidaient des idées françaises pour faire réussir leurs projets. C’est ainsi, par exemple, que le grand-duc Léopold de Toscane qui, lorsqu’il devint empereur, signa la fameuse convention de Pilnitz, était d’abord en correspondance avec Condorcet, et lui soumettait ses plans de réforme et ses projets de code. Avant la révolution, les idées françaises avaient envahi toute l’Italie. La guerre d’Amérique, où l’on vit la France monarchique soutenir les droits des républicains, contribua aussi à augmenter l’influence de ces idées. Si, en 1789, la France avait dû franchir les Alpes, elle aurait été accueillie partout avec un enthousiasme universel.

Mais l’invasion ne se fit que huit ans plus tard, après tous les déchiremens de la révolution, après tant de scènes lugubres racontées par des émigrés qui ne devaient pas ménager le gouvernement révolutionnaire, et après que le clergé, quittant presqu’en masse la France, avait excité contre la révolution française la haine de tout le clergé italien. Aussi, malgré les prodiges des premières campagnes d’Italie, malgré l’héroïsme de ces soldats de 1797, les Français ne furent bien accueillis que par quelques hommes doués d’un amour assez robuste de la liberté pour excuser les plus sanglans excès de la licence. Dans ses dépêches au directoire, Bonaparte se plaignait de l’isolement dans lequel, malgré le prestige de la victoire, se trouvaient les Français en Italie. Il fut, il est vrai, facile aux vainqueurs