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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

Leipzig, je ne sais plus lequel, une série de portraits de nos principaux écrivains, qui était bien la chose la plus bouffonne qu’il soit possible d’imaginer. Certes, quand nous rencontrons dans la presse allemande une de ces lourdes erreurs, nous n’accusons l’Allemagne ni de mauvaise foi ni de méchanceté. Nous savons que c’est une nation honnête et loyale, amie du vrai et du beau, mais facile à tromper par ceux qui de loin lui racontent les choses qu’elle désire connaître. Il y a chez nous je ne sais combien d’Allemands, jeunes et vieux, instruits et ignorans, qui viennent à Paris souvent sans autre but que celui de satisfaire une vague curiosité de voyageur ou d’échapper aux préventions d’une censure avec laquelle ils ne vivent pas en très bon accord. Souvent ces hommes n’ont d’autre ressource que de se faire les correspondans des journaux de leur pays. Privés des recommandations qui pourraient leur ouvrir l’entrée des salons, des moyens nécessaires pour apprendre à connaître sous ses différens aspects une immense ville comme Paris, ils vivent à l’écart, étudient le monde dans les feuilletons de modes, la littérature dans les estaminets, la politique dans les on dit de chaque jour, et finissent par se faire des groupes d’idées fantastiques de tout ce qu’il y a de plus réel et de plus palpable. Faute de pouvoir pénétrer dans la pensée et dans la vie intellectuelle des hommes dont le nom attire leur attention, ils s’attachent à leur vie extérieure, ils recueillent, sur leurs habitudes, sur leurs fantaisies, tous les détails vrais ou faux que la chronique du jour, cette autre renommée à cent voix, porte du boudoir dans l’antichambre, et de l’antichambre dans la rue. Tous ces détails, rejoints tant bien que mal par quelques points de vue généraux, entrelardés à la façon allemande de considérations d’esthétique et de philosophie, sont envoyés régulièrement aux journaux des grandes villes ; ils forment une série de chapitres, ils deviennent un livre ; le public les prend au sérieux, et les gens graves dissertent là-dessus. Ce n’est pas tout. Quand le livre a été reçu en Allemagne, l’auteur veut le faire admettre en France. La prétention est singulière, je l’avoue ; mais n’importe. Le susdit auteur revêt donc son habit noir, partage en deux bandeaux ses cheveux blonds, prend son volume sous le bras, et s’en va, d’un air fort humble et fort candide, frapper à la porte des revues et des journaux. Dans ce moment il est, comme tous les solliciteurs, plein de respect et de déférence. Il porte l’encens de la louange dans ses paroles et l’éclair de l’admiration dans ses regards. Il prie, il presse, il promet, il offre ses services et sa collaboration. Si toute cette éloquence est inutile, si son livre est oublié ou critiqué, il rentre chez lui et écrit une diatribe contre le recueil où il n’a pas trouvé accès, contre l’écrivain qui ne lui a pas prêté son appui. Et voilà comment la France est souvent jugée en Allemagne.

Nous avons vu dernièrement ici le fondateur et directeur d’un des principaux journaux allemands, qui depuis dix années jugeait la France sur la foi de ses correspondans. Un jour enfin, il a voulu l’étudier par lui-même, et il est venu, et il n’avait pas la prétention de toiser, comme M. O.-L.-B. Wolf, toutes nos illustrations en une matinée, ni de courir de Paris à Alger,