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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

loir plus tard l’en séparer, c’est effacer pour ainsi dire l’impression générale qu’il avait fait naître.

Dans le livre d’histoire que nous avons mentionné plus haut, M. Barthold ne s’aventure qu’avec défiance et timidité au milieu des souvenirs du paganisme slave. Pour pouvoir se faire à lui-même une opinion déterminée sur ce sujet, il a besoin de recourir à plusieurs témoignages anciens, et de comparer l’un à l’autre plusieurs textes, et, quand il en vient à faire son récit, on voit qu’il hésite encore, qu’il est arrêté à tout moment, tantôt par une citation, tantôt par une étymologie. Dans le recueil des traditions populaires de la Poméranie et de l’île de Rügen, tous ces souvenirs sont au contraire relatés pleinement et facilement. Peu importe ici la date ou la citation ; le peuple repousse bien loin de lui ces discussions de mots qui ralentiraient l’essor de sa pensée. Ses ancêtres ont raconté les cérémonies du culte de Swantewit, les merveilles du temple d’Arcona, et à son tour il raconte cette chronique du temps passé sans s’arrêter à la critique des détails qui lui plaisent, des symboles qui frappent son imagination.

À ces traditions lointaines de l’idolâtrie succèdent les légendes du christianisme, légendes des missionnaires qui bravèrent tous les périls pour s’en aller prêcher l’Évangile aux populations païennes, des premiers prêtres qui furent persécutés, des saints qui firent des miracles, des villes qui résistaient encore à la parole de Dieu, et qui furent tout à coup converties par une merveilleuse apparition. Puis viennent les chroniques d’une époque de crainte et de crédulité, l’histoire des cités et des villages engloutis dans les flots pour leurs péchés, des hommes qui se sont rendus coupables d’une injustice, et qui ne trouvent point le repos dans la tombe, des blasphémateurs punis par la main même de Dieu, des riches inhumains qui deviennent plus pauvres que les pauvres à qui ils ont refusé l’aumône. Toute cette partie du recueil de M. Temme est comme une leçon de morale, de charité, faite par le peuple lui-même pour l’enseignement du peuple, et d’autant plus frappante qu’elle est attestée par les lieux mêmes où les mères la répètent à leurs enfans, par les ruines de la maison sur laquelle s’est appesantie la colère de Dieu, par la tour où l’avare est enseveli sous ses trésors, par la caverne profonde où les méchans descendent après leur mort.

De ce second cycle de légendes, nous passons à celles du diable et des sorciers qui sont nombreuses, mais peu variées. Le diable joue ici un rôle fort triste. Il construit des digues, il fonde des églises, il prodigue l’or et l’argent, il va, il vient, il se donne une peine infinie pour attraper une pauvre ame ; puis, quand il a bien loyalement accompli sa promesse, un signe de croix le chasse, une invocation pieuse anéantit ses espérances. Il est obligé de laisser là l’œuvre qu’il a édifiée, l’ame qu’il croyait prendre, de s’enfuir pour échapper aux prières du pénitent et aux gouttes d’eau bénite du prêtre, et vraiment le malheureux fait pitié. Les sorciers jettent des maléfices sur leurs voisins et vont au sabbat. Un beau jour ils sont dénoncés à la justice, arrêtés et mis en prison. On leur applique la torture. Alors ils racontent de point en point toute