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nal toujours faussé ou comprimé, le despotisme est aux portes de la cité. Du côté du pouvoir, on ne manque pas de lui répondre qu’elle veut tout bouleverser, que ses utopies sont des chimères ou des piéges, que c’est l’ordre seul qui est en danger, que le pouvoir se meurt de faiblesse, et que, s’il ne retrouvait de l’énergie dans le sentiment de ses devoirs, l’anarchie serait imminente. Toujours, même en temps régulier, la tribune et la presse crient ainsi à l’anarchie et au despotisme, et font entrevoir une révolution également prochaine et sûre, pour les uns, si le pouvoir persiste, pour les autres, si l’opposition triomphe : Double exagération à laquelle on devrait être accoutumé, et dont cependant il est très difficile de n’être pas dupe. Napoléon lui-même s’y est trompé. Pendant tout le cours de son règne, il n’a jamais pu croire que le gouvernement anglais ne fût pas compromis. Les luttes parlementaires lui faisaient illusion, et comme l’opposition tonnait contre le ministère, il ne pouvait se défendre d’espérer par momens la chute de l’oligarchie qui faisait le malheur de la perfide Albion. Et non seulement le gouvernement anglais, mais le système du cabinet qui a triomphé de Napoléon, a survécu encore quinze ans à sa chute.

Nous aussi, nous sommes de nouveaux venus en pays de liberté. L’indépendance de la tribune et de la presse n’existe parmi nous dans sa plénitude que depuis dix ans. Elle nous paraît encore, surtout celle de la presse, quelque chose d’exorbitant et d’inoui, à ce point que beaucoup de gens se figurent que la presse est plus violente en France qu’en Angleterre ou en Amérique. On croit que les bornes qu’elle franchit effrontément chez nous, elle les respecte ailleurs, et que nous lisons ce qu’on n’a jamais lu. C’est une grande erreur ; mais quoique plus d’un organe des factions subversives s’évertue à la rendre plausible, vingt-quatre heures de séjour à Londres ou à New-York suffiraient pour la dissiper. Elle existe toutefois, elle est répandue ; et tandis que la société se familiarise et s’aguerrit peu à peu aux démonstrations bruyantes des partis, il faut reconnaître que tout ce tapage constitutionnel trompe à la fois et ceux qu’il intimide et ceux qu’il anime, et de part et d’autre excite encore des espérances et des craintes que l’évènement ne justifiera pas.

Les factions devraient être dans le secret de leur faiblesse ; mais elles sont passionnées, la haine est crédule, elles vivent dans leur monde et s’isolent d’autant plus du reste de la société, qu’elles ont plus d’animosité contre elle. Elles se dissimulent leur propre impuissance en niant la force de leurs adversaires. Elles croient volon-