Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/771

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
763
DE LA FORCE DU GOUVERNEMENT ACTUEL.

phe si violent et si rapide ne resta si pur. La voix populaire dit vrai, quand elle appela glorieuses les trois journées qui valurent à tout un peuple la couronne civique.

Mais de tels évènemens sont les momens romanesques de l’histoire, et souvent, comme tout ce qui est romanesque, ils enivrent la raison et l’abusent sur le vrai, le juste et le possible. De ce que la justice a été servie par la force, on conclut que l’alliance est éternelle entre elles. Pour avoir vu les passions s’accorder avec le droit, on en vient aisément à croire les passions toujours légitimes. Une victoire prompte, facile, que rien n’a souillée, nous trompe sur les conditions communes des choses humaines, et les peuples se laissent aller à trop voir la politique en beau. Ainsi séduite, la raison publique le cède à l’imagination populaire.

La sagesse était donc difficile en 1830, et quiconque veilla dès les premiers jours aux intérêts de l’ordre et du pouvoir, remplit un devoir non pas seulement de bon citoyen, mais d’homme d’état. Un moment, on put craindre que tous les principes ne fussent à la fois remis en question, toutes les lois livrées ensemble à une révision illimitée, et que la nation ne fût exposée à recommencer sa constitution avec la guerre universelle. Les passions animées par la victoire, et se croyant toutes-puissantes, n’acceptaient plus ni les règles de l’ordre ni les maximes de gouvernement. Les garanties accoutumées du repos public, les principes de subordination et de stabilité, les idées d’organisation, enfin ces vérités simples et pratiques qui doivent diriger la politique d’action, et hors desquelles le pouvoir n’est ni régulier ni fort, étaient traités de préjugés rétrogrades ou de conventions surannées. Il fallait de hautes lumières pour être raisonnable, et une grande fermeté pour être modéré. La France dut son salut à ceux qui surent alors rester calmes au milieu de tant d’émotions. Et sans nommer celui qui au 13 mars donna l’exemple de la fondation d’un gouvernement, c’est alors que deux hommes d’état conquirent à la tribune nationale des droits éternels à la reconnaissance du pays, M. Guizot en défendant les idées d’ordre, M. Thiers en défendant les idées de gouvernement.

La conservation devint ainsi le nom d’une doctrine et le mot d’ordre d’un parti. De grands efforts furent nécessaires pour constituer systématiquement les majorités, pour leur donner cet ensemble, cette suite, cette solidarité qui ne s’établit pas sans que l’impartialité y perde quelque chose ; car on est rarement uni sans devenir exclusif. Mais il le fallait, car avant tout il fallait un gouvernement. Était-ce une chose possible ?