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D’ailleurs, pour revenir de la politique d’abnégation, il faudrait que la disposition intérieure des chambres se modifiât. Toute majorité composée sur le plan de celle qu’on essaie aujourd’hui manquera de ressort, et ne sera propre qu’à voter les mesures nécessaires à l’administration courante. Toutes les fois qu’on voudra sortir de cette routine et faire quelque chose d’énergique et de neuf, il faudra chercher appui hors de cette majorité ; la loi des fortifications l’a prouvé. Ce qu’il a fait là par occasion, le ministère sera peut-être forcé, dans cette session même, de le faire encore ; mais il n’a ni les moyens, ni la volonté de le faire d’une manière continue et systématique. Le temps seul pourra permettre un jour ou même exiger qu’une autre marche soit suivie. C’est à l’avenir d’en décider. Le parti de la monarchie constitutionnelle se divise en deux partis, l’un de résistance, l’autre d’opposition, l’un conservateur, l’autre réformateur. Ni l’un ni l’autre ne nous paraît posséder à lui seul tout ce qu’il faut pour gouverner ; ils ne peuvent se compléter que par une transaction. L’un et l’autre sont divisés par des défiances, des ressentimens, des habitudes plus que par des principes fondamentaux. Ni la raison, ni la conscience ne les oblige à ne se jamais accorder. Or, entre la politique de conservation et la politique de réformation, on peut concevoir une politique qui serait la vraie, une politique de gouvernement. Celle-là devrait se faire une majorité de tout ce que dans le parti conservateur et dans le parti réformateur la passion n’aurait pas rendu inconciliable. Cette majorité serait plus nombreuse qu’on ne le croit. Dans la chambre, les passions font beaucoup de bruit et tiennent peu de place.

Mais la vraie politique de gouvernement, celle qui mettrait la France au régime de l’action, courrait par-là même quelques risques qui lui sont propres. Elle devrait donc, avant tout, s’appliquer à calmer et les craintes raisonnables et même les craintes exagérées, et tenir compte non-seulement des périls réels, cela est facile, mais des périls apparens dont les imaginations se préoccupent. Les esprits sont plus malades que la société. Que la politique d’action ne l’oublie pas ; il faut qu’elle rassure, précisément parce qu’elle veut entreprendre.

Pour une telle politique, il faut des circonstances. Or, les circonstances où nous sommes ne sont pas de celles qui peuvent relever les cœurs à son niveau. Elle ne sera possible que le jour où les mécomptes des autres systèmes l’auront rendue nécessaire. Ce jour n’est pas venu, mais les mécomptes qui peuvent l’amener ne manqueront pas.


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