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REVUE. — CHRONIQUE.

concluante aujourd’hui que nous ne croyons plus aux paroles, aux triomphes soudains, pas même aux accidens de l’urne du scrutin : nous avons tant vu de ministres couronnés aujourd’hui et abandonnés demain, nous avons vu tant de traités signés le soir sur le champ de bataille, au bruit des fanfares, et déchirés le jour suivant ! Si vous voulez nous faire croire à votre vie, vivez ; à votre force, vivez ; à votre durée, vivez. Franchissez, si vous le pouvez, ce terme moyen et fatal de sept, huit, neuf mois ; vivez avec la chambre et sans elle, à la tribune et dans le cabinet, et lorsque une nouvelle session aura commencé sous votre direction, nous pourrons croire qu’il n’est pas tout-à-fait impossible dans notre pays d’avoir une administration durable.

Mais jusque-là, croyez-nous, contentez-vous de mener une vie modeste et prudente, appliquez-vous à faire plus de choses que de bruit, et, sans fuir les explications, les débats, ne les cherchez pas. L’oubli convient à tout le monde, au pays aussi, qui a besoin avant tout d’être gouverné ; et n’a pas, après tout, beaucoup d’hommes de rechange. Tâchez donc d’arriver jusqu’au jour où il sera possible de sceller cet oubli et d’ouvrir un compte nouveau par la convocation d’une chambre nouvelle.

Certes, les paroles peuvent ne pas être exactement les mêmes ; mais c’est bien là le sens précis de ce qu’on entendait de toutes parts de la bouche d’un grand nombre de députés des centres, hommes d’intelligence, de sens, d’expérience parlementaire.

Évidemment le rapport de la commission voulait, par un moyen impossible, atteindre un but également impossible.

Le moyen était un grand débat qui aurait embrassé toute la politique extérieure et intérieure de ces temps-ci.

Le but, la reconstitution d’une large majorité acceptant après discussion les doctrines du rapport.

Le moyen était impossible en fait, parce que nul n’en voulait ni ne pouvait en vouloir.

Le but était impossible en soi, parce qu’il impliquait contradiction.

Nul ne voulait du débat. En effet, qui pouvait en vouloir ? Le ministère ? Il vous l’a dit sous mille formes, avec habileté et politesse : J’ai la majorité, je m’en contente. Le mieux est l’ennemi du bien. Je ne veux pas risquer de briser ce qui est, dans l’espoir d’avoir mieux. Il est souvent dans les ménages des questions qu’il ne faut pas trop approfondir. Le ministère a parlé, fort bien parlé, avec adresse et modération, pour nous dire qu’il ne parlerait pas, que mieux valait pour lui et pour le pays de ne pas parler. Nous sommes de son avis.

Les hommes de la majorité ? Disons-le : c’eût été un singulier rôle que celui d’une majorité venant de gaieté de cœur, comme un spadassin, flamberge au vent, provoquer la minorité. Les minorités attaquent et les majorités repoussent. Ainsi le veulent le bon sens et l’équité. Les possesseurs du pouvoir ont-ils besoin de se démener pour prouver qu’ils le tiennent ?