Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/800

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
792
REVUE DES DEUX MONDES.

L’ancien cloître, qu’il faut traverser pour entrer dans le nouveau, communique à celui-ci par un détour fort simple que, grace à mon peu de mémoire locale, je n’ai jamais pu retrouver sans me perdre préalablement dans le troisième cloître. Ce troisième bâtiment, que je devrais appeler le premier parce qu’il est le plus ancien, est aussi le plus petit. Il présente un coup d’œil charmant. Le préau qu’il embrasse de ses murailles brisées, est l’ancien cimetière des moines. Aucune inscription ne distingue ces tombes que le chartreux creusait durant sa vie, et où rien ne devait disputer sa mémoire au néant de la mort. Les sépultures sont à peine indiquées par le renflement des touffes de gazon. M. Laurens a retracé la physionomie de ce cloître dans un joli dessin, où j’ai retrouvé, avec un plaisir incroyable, le petit puits à gable aigu, les fenêtres à croix de pierre où se suspendent en festons toutes les herbes vagabondes des ruines, et les grands cyprès verticaux qui s’élèvent la nuit comme des spectres noirs autour de la croix de bois blanc. Je suis fâché qu’il n’ait pas vu la lune se lever derrière la belle montagne de grès couleur d’ambre qui domine ce cloître, et qu’il n’ait pas mis au premier plan un vieux laurier au tronc énorme et à la tête desséchée qui n’existait peut-être déjà plus lorsqu’il visita la Chartreuse. Mais j’ai retrouvé dans son dessin et dans son texte une mention honorable pour le beau palmier nain (chamœrops] que j’ai défendu contre l’ardeur naturaliste de mes enfans, et qui est peut-être un des plus vigoureux de l’Europe dans son espèce.

Autour de ce petit cloître sont disposées les anciennes chapelles des chartreux du XVe siècle. Elles sont hermétiquement fermées, et le sacristain ne les ouvre à personne, circonstance qui piquait beaucoup notre curiosité. À force de regarder au travers des fentes, dans nos promenades, nous avons cru apercevoir de beaux débris de meubles et de sculptures en bois très anciennes. Il pourrait bien se trouver dans ces galetas mystérieux beaucoup de richesses enfouies dont personne à Majorque ne se souciera jamais de secouer la poussière.

Le second cloître a douze cellules et douze chapelles comme les autres. Ses arcades ont beaucoup de caractère dans leur délabrement. Elles ne tiennent plus à rien, et, quand nous les traversions le soir par un gros temps, nous recommandions notre ame à Dieu ; car il ne passait pas d’ouragan sur la Chartreuse qui ne fît tomber un pan de mur, ou un fragment de voûte. Jamais je n’ai entendu le vent promener des voix lamentables et pousser des hurlemens