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et si bien rangée, qu’on l’eût dite abandonnée de la veille. Le fauteuil du supérieur était encore à sa place, et l’ordre des exercices religieux de la semaine, affiché dans un cadre de bois noir, pendait de la voûte au milieu des stalles du chapitre. Chaque stalle avait une petite image de saint collée au dossier, probablement le patron de chaque religieux. L’odeur d’encens dont les murs avaient été si long-temps imprégnés n’était pas encore tout-à-fait dissipée. Les autels étaient parés de fleurs desséchées, et les cierges à demi consumés se dressaient encore dans leurs flambeaux. L’ordre et la conservation de ces objets contrastaient avec les ruines du dehors, la hauteur des ronces qui envahissaient les fenêtres, et les cris des polissons qui jouaient aux petits palets dans les cloîtres avec des fragmens de mosaïque.

Quant à mes enfans, l’amour du merveilleux les portait bien plus vivement encore à ces explorations enjouées et passionnées. Certainement, ma fille s’attendait à trouver quelque palais de fée rempli de merveilles dans les greniers de la Chartreuse, et mon fils espérait découvrir la trace de quelque drame terrible et bizarre enfoui sous les décombres. J’étais souvent effrayé de les voir grimper comme des chats sur des planches déjetées et sur des terrasses tremblantes ; et quand, me devançant de quelques pas, ils disparaissaient dans un tournant d’escalier en spirale, je m’imaginais qu’ils étaient perdus pour moi, et je doublais le pas avec une sorte de terreur où la superstition entrait peut-être bien pour quelque chose.

Car, on s’en défendrait en vain, ces demeures sinistres, consacrées à un culte plus sinistre encore, agissent quelque peu sur l’imagination, et je défierais le cerveau le plus calme et le plus froid de s’y conserver long-temps dans un état de parfaite santé. Ces petites peurs fantastiques, si je puis les appeler ainsi, ne sont pas sans attrait ; elles sont pourtant assez réelles pour qu’il soit nécessaire de les combattre en soi-même. J’avoue que je n’ai guère traversé le cloître le soir sans une certaine émotion mêlée d’angoisse et de plaisir, que je n’aurais pas voulu laisser paraître devant mes enfans, dans la crainte de la leur faire partager. Ils n’y paraissaient cependant pas disposés, et ils couraient volontiers au clair de la lune sous ces arceaux rompus qui vraiment avaient l’air d’appeler les danses du sabbat. Je les ai conduits plusieurs fois, vers minuit, dans le cimetière. Cependant je ne les laissai plus sortir seuls, le soir, après que nous eûmes rencontré un grand vieillard qui se promenait parfois dans les ténèbres. C’était un ancien serviteur ou client de la communauté, à qui le vin et la dévotion faisaient souvent partir la cervelle. Lorsqu’il