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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

vagues se précipitaient avec une harmonie étrange. Je ne sais quels accords magiques je croyais entendre, ni quel monde inconnu je me flattais de découvrir, lorsque mon fils, effrayé et un peu furieux, vint me tirer violemment en arrière. Force me fut de tomber de la façon la moins poétique du monde, non pas en avant, ce qui eût été la fin de l’aventure et la mienne, mais assis comme une personne raisonnable. L’enfant me fit de si belles remontrances, que je renonçai à mon entreprise, mais non pas sans un regret qui me poursuit encore ; car mes pantoufles deviennent tous les ans plus lourdes, et je ne pense pas que les ailes que j’eus ce jour-là repoussent jamais pour me porter sur de pareils rivages.

Il est certain cependant, et je le sais aussi bien qu’un autre, que ce qu’on voit ne vaut pas toujours ce qu’on rêve. Mais cela n’est absolument vrai qu’en fait d’art et d’œuvre humaine. Quant à moi, soit que j’aie l’imagination paresseuse à l’ordinaire, soit que Dieu ait plus de talent que moi (ce qui ne serait pas impossible), j’ai le plus souvent trouvé la nature infiniment plus belle que je ne l’avais prévu, et je ne me souviens pas de l’avoir trouvée maussade, si ce n’est à des heures où je l’étais moi-même. Je ne me consolerai donc jamais de n’avoir pas pu tourner le rocher. J’aurais peut-être vu là Amphitrite en personne sous une voûte de nacre et le front couronné d’algues murmurantes.

Au lieu de cela, je n’ai vu que des aiguilles de roches calcaires, les unes montant de ravin en ravin comme des colonnes, les autres pendantes comme des stalactites de caverne en caverne, et toutes affectant des formes bizarres et des attitudes fantastiques. Des arbres d’une vigueur prodigieuse, mais tous déjetés et à moitié déracinés par les vents, se penchaient sur l’abîme, et du fond de cet abîme une autre montagne s’élevait à pic jusqu’au ciel, une montagne de cristal, de diamant et de saphir. La mer, vue d’une hauteur considérable, produit cette illusion, comme chacun sait, de paraître un plan vertical. L’explique qui voudra. Mes enfans se mirent à vouloir emporter des plantes. Les plus belles liliacées du monde croissent dans ces rochers. À nous trois, nous arrachâmes enfin un oignon d’amaryllis écarlate, que nous ne portâmes point jusqu’à la Chartreuse, tant il était lourd. Mon fils le coupa en morceaux pour montrer à notre malade un fragment, gros comme sa tête, de cette plante merveilleuse. Périca, chargée d’un grand fagot qu’elle avait ramassé en chemin, et dont, avec ses mouvemens brusques et rapides, elle nous donnait à chaque instant par le nez, nous reconduisit jusqu’à l’entrée