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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

ces rivages et sorties d’un de ces nobles cœurs dont j’ai parlé, strophes dès long-temps publiées, qui ont fait le tour des rochers sonores et qu’on n’a pas lues ici :

Pourtant, ô ma patrie, ô terre des montagnes
Et des bleus lacs dormant sur leur lit de gravier,
Nulle fée autrefois errant dans tes campagnes,
Nul esprit se cachant à l’angle du foyer,
Nul de ceux dont le cœur a compris ton langage,
Ou dont l’œil a percé ton voile de nuage,
Ne t’aima plus que moi, terre libre et sauvage,
Mais où ne croît pas le laurier.

J’ai vu quelques rameaux de l’arbre de la gloire,
Poussant avec vigueur leurs jets aventureux,
Se pencher, il est vrai, sur l’onde sans mémoire
De ce Léman vaudois que domine Montreux.
Mais un souffle inconnu rassemblait les tempêtes :
D’Arvel et de Jaman l’éclair rasa les crêtes,
Les lauriers tristement inclinèrent leurs têtes,
Et le beau lac pleura sur eux[1].

Et en effet, dans ce frais bassin du Léman si couronné de splendeur par la nature, il n’y a pas telle chose que la gloire, et la plante de poésie, même venue en pleine terre, a partout besoin de ce soleil un peu factice, sans lequel son fruit mûrit, mais ne se dore pas complètement.

Pour nous en tenir à Genève toutefois, le plus considérable des trois petits états, et sous le nom duquel, dans nos à-peu-près d’ici, nous nous obstinons à confondre tous les autres, la difficulté, ce semble, est moindre ; véritable lieu de rendez-vous et de passage européen, il y a là naturellement théâtre à célébrité. Et puis si Genève est un petit état, c’est une grande cité, et, comme l’a dit avec orgueil l’excellent Senebier dans l’Histoire littéraire qu’il en a écrite, c’est une des écoles lumineuses de la terre. Qu’on parcoure les trois volumes de cette histoire qui ne va pas au-delà de 1786 et qui néglige ainsi les dernières années si remplies du dix-huitième siècle, que de noms illustres et vénérés s’y rencontrent ! Théologie, droit public, sciences, philosophie et philologie, morale, toutes ces branches sont admirablement représentées et portent des fruits comme dispropor-

  1. Dans le recueil des Deux Voix, par Juste et Caroline Olivier.