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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

lorsqu’une nuit, allant au bal du Casino, un incendie, qu’il admire d’abord comme pittoresque, le prend au collet sérieusement ; il est obligé de faire la chaîne avec ses gants blancs ; il s’irrite d’abord, puis la nouveauté de l’émotion le saisit ; le dévouement et la fraternité de ces braves gens du peuple lui gagnent le cœur : il a retrouvé la veine humaine, et son égoïsme factice s’évapore. Une jeune fille qu’il aperçoit saisie elle-même par la chaîne, et qu’il reconduit ensuite avec une modestie discrète, achève la guérison. Le voilà amoureux d’une inconnue distinguée et pauvre. Son oncle qui l’apprend, et qui a sur lui d’autres projets, l’en plaisante comme d’une fredaine ; puis, le trouvant sérieux, il se fâche et finalement le déshérite. Lui, tout allégé, épouse la jeune fille et trouve le bonheur. On conçoit le charme et le profond de l’idée ; mais, dans toute la première partie, le jeune homme, qui est un élégant de là-bas, ne nous paraîtra pas tout-à-fait tel ici. C’est une affaire d’étiquette et de tailleur peut-être, affaire des plus importantes toutefois pour notre superbe délicatesse. Ce jeune homme parle beaucoup trop de ses instrumens de barbe (est-ce qu’on se fait la barbe encore ?), de son savon perfectionné, de son cure-dent surtout, et de la côtelette qu’il mange. Ce sont des riens ; ils font tache pour nous, sans qu’il y ait guère de la faute de l’auteur, qui n’était pas tenu de deviner nos entresols de lions à la mode, quand il ne peignait qu’un mirliflor du quartier.

N’est-ce pas à propos de l’Héritage encore, et comme venant aggraver ces élégances qui retardent, qu’il m’est permis de noter grammaticalement plusieurs locutions particulières qui se reproduisent assez souvent dans les pages de M. Töpffer, et qui semblent appartenir à notre vieille langue surannée ? Je leur bâille contre, pour, je leur bâille au nez. Et en parlant au valet qui annonce à contre-temps l’oncle parrain : « Imbécille ! j’étais sûr que tu me le pousserais dessus. » Molière, dans la scène II du Mariage forcé, fait dire à Sganarelle que Géronimo salue, chapeau bas : « Mettez donc dessus, s’il vous plaît ; » ce qui signifie : Couvrez-vous. Dans l’idiome du canton de Vaud, on dit encore vulgairement je me suis pensé, pour j’ai pensé ; ainsi dans les Contes et les nouvelles Récréations attribuées à Bonaventure Desperiers, à la nouvelle LXV du tome II, on lit : « Ce régent se pensa bien que, pour aller vers une telle dame, il ne falloit pas estre despourveu… » Toutes les locutions singulières du patois genevois ou vaudois sont loin sans doute de pouvoir ainsi s’autoriser par d’authentiques exemples. M. Töpffer le sait bien, et en général il fait choix ; en vrai disciple de Paul-Louis Courier, il ne va pas tou-