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jours aussi couramment qu’il en a l’air. Tous ces mots du cru, ces locutions jusque-là éparses chez lui un peu au hasard, se sont même élevés à l’art véritablement, sous sa plume, dans quelques lettres de Champin, l’un des personnages du Presbytère : « On y peut voir, dit-il excellemment, ce qu’est notre idiome local parlé dans toute sa nationale pureté, et juger de la difficulté qu’on doit éprouver à se dépouiller, pour écrire purement, de cette multitude d’idiotismes, dont les uns, inusités dans la langue française actuelle, n’en sont pas moins de souche très française, dont les autres voilent sous une figure expressive le vice de leur origine, dont tous ont pour nos oreilles le caractère du naturel et le charme de l’accoutumance. » Quant à nous pour qui cette accoutumance n’existe pas, quelque chose pointant du charme se retrouve. Est-de donc le pur caprice d’un palais blasé ? Ce que je puis dire, c’est que ces idiotismes, ménagés et bien pétris dans un style simple, me font l’effet d’un pain bis qui sent la noix.

Les idiotismes s’en vont, on est trop heureux de les ressaisir ; on l’est surtout de les retrouver autour de soi sans trop d’effort, et de n’avoir qu’à puiser. Ç’a été la situation de M. Töpffer. Et quel moment mieux choisi, si on l’avait choisi, pour oser toutes les expériences de couleur et de poésie dans le langage ? Je conçois en d’autres temps du scrupule et la nécessité pour l’auteur de se tenir avant tout et de n’opérer qu’avec nuance dans le cercle régulier dessiné ; mais aujourd’hui qu’est-ce ? le public d’élite et le cercle, où sont-ils ? Je ne vois que des individus épars, une écume de toutes parts bouillonnante, et quelquefois très brillante en se brisant, qu’on appelle langue, et des pirates intitulés littérateurs qui font la course. Sauve qui peut dans ce désarroi, et butine qui ose ! C’est le cas pour chacun d’aller, son grand ou petit train intrépide ; c’est le cas comme pour Montaigne, à la fin du XVIe siècle. Laissons faire les petits Montaigne.

L’Histoire de Jules[1] n’est pas plus à analyser que le Voyage autour de ma Chambre ; elle se divise en trois parties dont le seul inconvénient est d’avoir l’air de recommencer trois fois, mais on y consent volontiers à cause de la simplicité extrême. Les momens d’ailleurs sont différens. Dans le premier livre, intitulé les Deux Prisonniers, Jules est un écolier enfant, un adolescent à peine ; il aime déjà Lucy. Dans le second moment, qui s’intitule la Bibliothèque de mon Oncle,

  1. Un vol.  in-8o, Genève, 1838.