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vilains côtés ; on ne croit plus en elle, à moins d’avoir un fonds incurable d’illusion ou une intrépidité voulue d’optimisme. La plupart des hommes célèbres en France, s’ils n’y prennent garde, meurent, au moral, dans un véritable état de dilapidation, j’allais dire pis. Là-bas, les choses ont gardé leur proportion encore ; les bons côtés ne sont pas trop entamés ; la discrétion, le respect de soi-même et des autres, une certaine lenteur à vivre, subsistent et conservent. On peut s’y croire à l’étroit par momens, et trouver que le théâtre ne suffit pas ; mais combien cette impression de gêne et à la fois de ressort est préférable à la lassitude des ames qui sentent qu’elles ne suffisent pas elles-mêmes à leur théâtre et qu’elles s’y dissipent à tous les vents !

J’avais pensé à détacher et à citer encore, pour finir, deux lettres du Presbytère, à mon gré délicieuses (VIII et IX), l’une de Charles, l’autre de Louise. Ils se racontent leurs impressions, chacun de leur côté, durant un orage. Que fait Louise à la cure dans ce moment même et sous ces nuages de grêle qui s’amassent ? se demandait Charles, une après-midi, accoudé à la fenêtre ; et il s’amuse à le supposer et à le décrire. Louise, en réponse, lui raconte ce qu’elle faisait réellement, et où l’orage les a surpris. Différence et concordance gracieuse ! Charles, en devinant, s’est trompé, mais de peu ; il s’est trompé sur les incidens, non pas sur les sentimens. Puis l’impression de sourire tourne bientôt au sérieux, lorsque, dans une prochaine lettre du chantre, on voit que cet orage, qui n’a servi qu’à nourrir la rêverie des amans, a haché les grains, foudroyé un clocher, tué peut-être un sonneur ; on est ramené au côté prosaïque de la vie. Mais je ne fais qu’indiquer ces passages, tout charmans qu’ils soient, pour ne pas tomber moi-même dans l’inconvénient de prolonger. Je renvoie aussi au livre pour le dénouement final de l’histoire, lequel est trop triste et, à partir d’un certain moment, trop prévu.

En achevant cette lecture d’un auteur chez qui la littérature est née tout entière des habitudes morales et du foyer de la vie, est-ce une conclusion purement critique que je suis tenté d’y rattacher ? Irai-je représenter à M. Töpffer qu’ayant une fois atteint à l’art, il lui faut tâcher désormais de s’y tenir ; que l’inconvénient et la pente pour tout artiste, en avançant, est de se lâcher, surtout quand on manque d’une scène, d’un public sans cesse éveillé et jaloux ; qu’il n’est déjà plus dans ce cas lui-même, et que, sans trop retrancher à ses plaisirs, il doit songer pourtant qu’il a contribué aux nôtres, et que l’œil est sur lui ? Oh ! non pas ; je laisse au bourgeon, comme il l’appelle, le