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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

envers l’être divin, on ne la conteste point à la poésie homérique. Tout y est plein de l’action de la Providence. La prière, le sacrifice, l’expiation, les mystères de la tombe, tous ces dogmes universellement reçus et dont l’origine remonte au-delà de l’histoire, s’y trouvent. Quant à la satire à l’égard des dieux, en tant que personnages livrés au mythe populaire, c’est sans doute à la préoccupation des théories classiques et des règles du genre, appliquées à l’épopée, qu’il faut s’en prendre de ce qu’on ne la voit pas, de ce qu’on ferme les yeux pour ne pas la voir. Quoi qu’il en soit, l’Olympe d’Homère n’est en réalité qu’une vaste scène comique dont les dieux sont les acteurs. C’est ce qu’on verrait très bien dans les querelles de ménage de Jupiter et de Junon, dans l’intrigue de Mars et de Vénus, et d’autres morceaux du même genre, si tout cela était lu sans prévention ou traduit avec franchise. Mais les traducteurs d’Homère font un contresens perpétuel en ces endroits. Ils s’évertuent à dissimuler ce qui tient à la comédie, ils suppriment les expressions trop peu relevées à leur goût, ils effacent l’ironie, et, en dépit du texte, ils drapent les personnages olympiens du vêtement toujours solennel de leur style emphatique.

Citons un exemple. Le premier chant de l’Iliade se termine par une de ces comédies. La nuance en est très difficile à rendre, il est vrai, parce qu’elle est de ce comique des meilleures scènes de Homère, où le rire ne grimace pas, où il semble au contraire se cacher derrière une apparence sérieuse ; mais si, par la pensée, on fait abstraction du rang divin de Jupiter et de Junon, il n’y aura pas un mot à changer pour avoir un excellent dialogue, facile, naturel, caractéristique, entre un mari ferme, assez impatient du joug féminin, assez rude même quelquefois, et une femme curieuse, exigeante, importune jusqu’à nécessiter de ces corrections maritales en usage chez les nations grossières. Junon s’est aperçue que Jupiter a donné audience à Thétis, et elle devine bien qu’il est question de venger Achille injurié par Agamemnon. Elle l’aborde donc avec des paroles mordantes, dit le poète. « Rusé personnage, quel est celui des dieux avec qui vous venez de tenir conseil ? Vous aimez beaucoup toujours à faire des projets clandestins en mon absence et à décider sans moi ; jamais vous n’avez pu prendre sur vous de me faire volontairement confidence de ce que vous méditez. — Junon, répond Jupiter, n’espérez pas savoir tous mes desseins ; vous n’y réussirez guère, quoique vous soyez ma femme. Ce qu’il sera bon que vous sachiez, nul, ni dieu ni homme, ne le saura avant vous ;