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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

Ouvrez l’Odyssée : les quatre-vingts premiers vers vous en exposeront l’idée fondamentale. Et cette idée fondamentale, quelle est-elle ? C’est précisément la question de la liberté et de la fatalité ; ou bien, pour emprunter l’expression de la théologie chrétienne, c’est la question du libre arbitre et de la grace. L’ancien sacerdoce l’avait résolue dans le sens du fatalisme, comme nous le voyons par les tragiques ; car ceux-ci, quoique bien postérieurs à Homère, suivaient la doctrine sacerdotale et orientale conservée dans les mystères, dont la tragédie n’était qu’un développement lyrique. Par exemple, l’histoire d’Œdipe, celle d’Agamemnon, d’Égisthe et d’Oreste, étaient devenues des légendes fatalistes, qui montraient la vie humaine dominée par une puissance impitoyable, irrésistible, dont les oracles étaient l’organe, et contre laquelle ni l’innocence, ni le crime, ni la volonté, ni la faiblesse, ne pouvaient rien. Il était écrit dans les arrêts de cette puissance qu’Égisthe corromprait Clytemnestre ; il était écrit qu’il la pousserait à égorger son époux ; il était écrit qu’Oreste vengerait son père par le meurtre de sa mère et d’Égisthe. Les oracles l’avaient prononcé ; il fallait que cette série de meurtres fût commise. Une telle doctrine était un instrument terrible dans les mains de la théocratie qui inspirait les oracles : aussi la conserva-t-elle tant qu’elle put, jusqu’à l’apparition du christianisme. Eh bien ! l’Odyssée n’est pour ainsi dire qu’une réfutation de ce dogme funeste ; une réfutation bien positive et qui était évidemment dans l’intention du poète. En effet, l’Odyssée s’ouvre dans le ciel : Jupiter, au milieu de l’assemblée des dieux, pose en deux mots la question du destin et de la liberté humaine, en prenant pour exemple l’histoire d’Égisthe dont nous venons de parler. Dieux immortels, leur dit-il, les hommes nous accusent, ils prétendent que le mal vient de nous[1], et pourtant la cause en est en eux-mêmes, et leurs folles résolutions leur attirent des douleurs que le destin ne leur réservait pas. Égisthe, en dépit de la loi divine, a épousé la femme d’Agamemnon ; il a tué ce prince à son arrivée. Pourtant il savait bien qu’il en serait rudement puni ; moi-même je le lui avais prédit ; je lui avais envoyé Mercure pour le conseiller et le menacer. Mais l’ame d’Égisthe ne s’est point ouverte à ces bonnes inspirations[2], et maintenant il vient

  1. Ὢ πόποι, οἴον δὴ νυ θεοὺς βροτοὶ αἰτιόωνται.
    Ἐξ ἡμέων γάρ φασί κάκ' ἔμμεναι…
    Odyss. I, 32.

  2. Ἀλλ’ οὐ φρένας Αἰγίσθοιο
    Πεῖθ' ἀγαθὰ φρονέων.
    Ibid.