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consacré à la notation des idées plutôt qu’à la représentation des choses. Le dessin et la statuaire n’étaient donc qu’une écriture, mais alors il fallait bien qu’on défendît d’en altérer les types, sous peine de voir les formes se confondre, et la notation des idées se transformer en représentation des choses. Or, la théocratie égyptienne, pour conserver son écriture mystérieuse étroitement liée à son influence et à ses doctrines, enchaîna l’art aussi long-temps qu’elle le put ; elle l’enchaînait encore lorsque l’écriture phonétique rendait l’autre inutile ; elle l’enchaîna, au moins, pour l’usage religieux, en dépit de la conquête grecque et romaine, jusqu’au IIe siècle de notre ère, comme M. Letronne l’a si savamment démontré. Mais les Hellènes, en rompant la caste, émancipèrent l’art ; chez eux, l’écriture se dédoubla en quelque sorte ; l’élément alphabétique servit seul à fixer la parole ; l’élément représentatif des choses mêmes se dégagea librement, et se dépouilla peu à peu de la servitude du symbole. Ce fut donc la liberté civile, inconnue aux Orientaux, qui perfectionna l’art chez les Grecs, comme Winckelmann l’a remarqué ; mais, en rapportant cette influence civile aux statues décernées aux vainqueurs des jeux olympiques, Winckelmann ne l’a pas assez étendue, ni prise d’assez haut. Ce fut aux premiers jours de la Grèce, dès que la caste orientale fut dissoute, que cette influence de la liberté s’exerça sur l’art. Dès-lors les figures sacrées n’eurent plus d’interprétation ; les têtes de béliers, de lions, les corps de serpens, les ailes d’oiseaux et cent autres formes combinées entre elles ou avec les formes humaines, afin d’exprimer des idées abstraites, ne furent plus pour le peuple que des talismans de superstition, pour les esprits plus cultivés que des monstruosités. Dès-lors aussi les artistes firent comme les aèdes et comme Homère : ils ramenèrent peu à peu le gigantesque aux proportions naturelles, et les simulacres invraisemblables des dieux à la figure humaine. La tête humaine prit place sur la colonne de Toth et sur le cou des sirènes, et tandis que les figures de l’Égypte restaient éternellement guindées dans leur attitude droite, avec leurs jambes jointes, leurs bras pendans collés au tronc, leurs yeux obliques et leurs affreuses oreilles, l’école de Dédale détachait les jambes, avançait un pied, pliait les bras, assouplissait les torses ; et l’art, en traversant l’école d’Égine, arrivait à Phidias et à Praxitèle, en remplaçant de plus en plus le symbole par l’idéal, expression choisie des beautés naturelles, assemblage des qualités que la nature ne nous offre qu’éparses, et que l’artiste résumait dans l’image d’un Dieu, renvoyant ainsi tous ces rayons au foyer d’où ils émanent.