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recherche indépendante ; elle rejetait le symbole, recherchait le mot propre et créait des formules ; elle faisait entrer les hautes spéculations dans la langue commune. Si parfois elle cacha ses principes et se donna l’apparence d’une science secrète, c’était par une simple précaution contre les attaques de la superstition populaire que le sacerdoce déchaîna contre elle plus d’une fois. Ce genre de mystère, purement accidentel, n’était point dans l’esprit de l’école ionique, qui ne cherchait au contraire qu’à dissiper les mystères. Elle fut donc aussi bien qu’Homère, accusée d’impiété, d’athéisme même, et il est vrai que quelques-uns de ses membres ont laissé une réputation équivoque à cet égard. Mais les attaques dirigées contre eux partaient bien plutôt des défenseurs du polythéisme, qui sentaient qu’on ébranlait leurs autels. C’est ainsi qu’Anaxagore, ce scrutateur hardi et dévoué, qui renonça aux soins d’une grande fortune pour rechercher la science, ayant osé dire que le soleil était, non pas un dieu traîné dans l’espace immense par des chevaux enflammés, mais tout simplement une masse de métal ardent, source de lumière et de chaleur, fut, pour ce sujet, accusé comme impie et forcé de s’exiler. Or, cet homme professait pour Homère la plus haute estime ; ce fut lui qui, le premier, fit considérer les poèmes homériques comme un code de morale, comme une exhortation à la vertu et à la justice, c’est-à-dire que le premier il en sentit la portée philosophique.

Les opinions de Socrate se liaient au même ordre d’idées. Élève d’Anaxagore et d’Arcésilas, il transporta leur méthode de recherches dans l’étude des sciences morales : direction que lui imprima sans doute le mouvement politique au milieu duquel il vivait à Athènes. Si Platon a jeté des nuages sur la doctrine de Socrate, Xénophon et Aristote nous apprennent assez que c’était un esprit critique et pratique, cherchant dans la raison et dans les besoins moraux de l’humanité le vrai sens des dogmes religieux répandus dans le monde. Aussi le génie asiatique lui fit une guerre opiniâtre : il avait pour adversaire un certain Antiphon, interprète des prodiges ou des symboles (τερατισκοπος) ; un mage, à ce que dit Aristote, vint de Syrie pour lui faire des reproches et lui prédire une fin violente, et l’on sait comment la prédiction s’accomplit. Avec ces qualités d’intelligence, il devait être partisan du grand poète révélateur de l’esprit nouveau de la Grèce ; Dion l’appelle un disciple d’Homère, et son brillant élève Alcibiade souffletait les professeurs qui n’avaient point un exemplaire d’Homère ou qui se permettaient de le corriger.

Le vrai successeur de Socrate, quant au procédé intellectuel et à