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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

encore mieux : « La poésie tout entière, dit-il, est pleine de symboles énigmatiques, et il n’appartient pas au premier venu de la comprendre. » Ainsi, la poésie n’était pas pour lui, comme pour la simple raison, le tableau des réalités de la vie, des croyances, des sentimens, des caractères des hommes ; elle était, conformément au principe des prêtres orientaux, un langage symbolique, ayant pour but unique de revêtir et de déguiser des idées abstraites ; en un mot, une métaphysique matérialisée. Mais alors il fallait bien renoncer à Homère ; et, en effet, Platon arriva bientôt à des conséquences si étranges, qu’elles le forcèrent à changer d’avis sur le mérite du poète dont il avait si fort conseillé la lecture. Dans sa prétention de plier la poésie aux formes imaginaires de sa république, on le voit condamner ce qu’il y a de plus admirable dans Homère la peinture simple et vraie des passions, des faiblesses et des inconséquences humaines ; il ne veut pas qu’Achille s’emporte, que Diomède frémisse à la pensée de mourir, qu’Ajax soit violent et impie ; il ne veut pas qu’un ami ait pitié d’un ami ou d’un frère mort ; ni qu’un vieux père comme Priam se désole de la perte du plus vaillant de ses fils ; il ne veut pas même que le poète mette ses personnages en scène, et les fasse parler, à moins que ce ne soit pour débiter des maximes ou pour étaler de beaux sentimens. Un héros doit être, d’après lui, un type idéal, une morale en action, un raide et froid emblème de la vertu ; de sorte qu’une épopée, conçue d’après la poétique de Platon, ne serait plus qu’une collection de figures aussi guindées, aussi uniformes et aussi peu animées de la vie humaine, que les statues hiératiques de l’art égyptien. Or, il était impossible, avec tous les efforts de l’exégèse la plus subtile, de trouver rien de tout cela dans Homère ; aussi Platon finit-il par le chasser de sa république aussi bien que tous les auteurs dramatiques, et par en interdire la lecture aux jeunes gens. Voyant bien que la comédie des dieux, telle qu’elle se joue dans l’Iliade et dans l’Odyssée, serait un obstacle éternel à la restauration de l’ancien symbolisme, il défend de lire les deux épopées, même avec interprétation ; il faut les exiler tout-à-fait : « Ces combats des dieux, dit-il, qu’Homère a imaginés, il ne faut les admettre dans notre cité en aucune manière, soit qu’ils aient un sens caché, soit qu’ils n’en aient point. » C’est à ces extrémités qu’un beau génie peut arriver, quand il s’obstine à vouloir prolonger par des fictions une forme sociale dont la réalité s’évanouit.

Exclure Homère de l’éducation nationale, le chasser de la répu-