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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

voilà qui, par un calcul superbe et inhumain, se referme maintenant dans sa tente, afin que les soldats périssent par milliers sous les coups des ennemis ; il lui faut un sanglant sacrifice. Ulysse, le plus habile, et Nestor, le plus vénéré de Grecs, accompagnés de Phénix, le père nourricier d’Achille, vont le supplier, lui offrir toute espèce de réparation et d’hommage ; il les aime, il les respecte, mais il les repousse par un discours vif, raisonné, plein d’une fierté amère, d’une modération hautaine, d’une indifférence cruelle. Ainsi le sang coule, et l’opiniâtre jeune homme le laisse couler. Est-ce à dire que le temps n’y fera rien, que la compassion n’aura aucune prise ? Cela ne serait plus dans la nature. Aussi peu à peu quelque émotion s’éveille en son cœur ; il résiste, il se répète lui-même les motifs de sa colère ; cependant, par degrés, sa colère se détend ; il voit de loin un grand tumulte dans la bataille, et il envoie son ami Patrocle aux informations ; puis, le carnage devenant plus terrible encore, il permet à son ami d’aller combattre, et lui confie ses armes, à une condition cependant, car il ne veut pas encore s’apaiser, il lutte encore contre la pitié qui l’a pris au cœur ; cette condition, c’est que Patrocle sauvera seulement les vaisseaux, et qu’il reviendra immédiatement ; quant aux hommes, qu’ils périssent ! « Puissent-ils y rester tous, afin que seuls nous démolissions à nous deux les remparts sacrés de Troie ! »

Qu’est-ce donc qui le vaincra ? La mort de son ami. Rien en lui ne peut dompter une passion, si ce n’est une passion plus forte. Voyez comme la nature le ressaisit peu à peu. D’abord, c’est un pressentiment. Depuis que Patrocle est dans la mêlée, Achille s’inquiète ; il s’avance un peu ; il se rappelle de vieilles prédictions sinistres : « Qu’est-ce que ce tumulte ? Oh ! il est mort ! Je lui avais tant dit de ne sauver que les vaisseaux et de revenir ! » Patrocle est mort en effet ; Antiloque vient lui confirmer cette nouvelle. Alors nouvelle tempête. « Un noir nuage enveloppe son ame ; il prend de la poussière à deux mains, s’en couvre la tête, s’en noircit le visage ; il se jette à terre, s’arrache les cheveux ; les femmes, ses compagnons d’armes l’entourent, pleurent avec lui, lui prennent les mains, craignant qu’il ne se tue ; son grand cœur gémit, ses lamentations sont terribles. » Toute sa colère se replie d’un autre côté, comme la flamme d’un incendie sous un vent qui change. Il se réconcilie avec Agamemnon, accepte ce qu’il avait refusé, et ramasse, pour ainsi dire, tout ce qu’il peut trouver de fureur dans son ame, pour en accabler le meurtrier de son ami. Cette fureur, il la pousse à des