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chaque année imprime un almanach et deux fois la semaine un journal, dit Del Progresso qui, à l’instar des autres feuilles lombardes, se borne à donner des nouvelles de la pluie ou du beau temps.

Comme un jour je rejoignais mon ami dans le muséum du docteur Gregori, je le trouvai en contemplation devant une tête fossile, que M. Lamberti m’assura avoir appartenu à un crocodile anté-diluvien. — Voyez la forme des mâchoires, me dit-il ; il semble que la supérieure soit mobile, et les anciens le croyaient ; cependant elle ne se meut qu’avec la tête tout entière, et c’est là un des caractères de l’ordre des sauriens dont le crocodile est une espèce. — Admettons que cette tête ait appartenu à un crocodile ; mais pourquoi le faites-vous anté-diluvien ? — M. Gregori vous le dira, répondit gravement mon ami en se tournant vers le savant Vicentin qui entrait. Pour toute réponse, le docteur ouvrit sa fenêtre toute grande ; allongeant ensuite dans la direction du nord l’index de sa main osseuse : — Par-delà cette première chaîne de montagnes, vous voyez ces trois pointes bleues, nous dit-il, eh bien ! cette tête de crocodile a été trouvée sur le plus élevé de ces pitons ; douterez-vous maintenant qu’elle soit antérieure au déluge ? — Je ne saisissais pas au premier coup les rapports qui pouvaient exister entre ces montagnes bleues, la tête de crocodile et le déluge ; mon ami, géologue par excellence, prenant la parole d’un ton grave et indulgent, me fit comprendre sur-le-champ que les eaux seules du déluge avaient pu déposer sur ces cimes élevées ces curieux débris d’animaux qui vivaient au fond des étangs et au bord des fleuves. Il n’y avait pas à répliquer ; je me déclarai convaincu, et, comme le geste du docteur avait attiré mon attention sur ces trois pointes bleues qui se dressaient à l’horizon, je lui demandai quelles étaient ces montagnes dont les cimes dépassaient si fièrement toutes les autres ? — Ce sont les trois clochers des Sette Communi, me répondit aussitôt M. Grégori. — Et quelles sont ces Sette Communi ? — C’est le pays le plus singulier peut-être de toutes les Alpes de l’Italie, un petit état neutre qui n’est ni tyrolien ni italien, quoique entouré par le Tyrol et l’Italie. Perdus au milieu des populations méridionales, ses habitans, qui viennent du nord, parlent un langage à eux qui n’est ni l’italien ni l’allemand, ont des usages et des mœurs particulières, et une constitution et des lois qui leur sont propres. Leur origine est mystérieuse comme leur existence. Entourés de voisins puissans, ils ont su rester libres et conserver leurs franchises. Pauvres presque tous, et trop nombreux pour subsister sur le sol qui les voit naître, ils vivent aux dépens de