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petite république. Combien voit-on, en revanche, de pauvres pâtres qui, pour subsister durant toute la mauvaise saison, n’ont qu’un peu de pain d’orge et de fromage de brebis ou de chèvre. Ces malheureux, quand le mauvais temps se prolonge et que la récolte se fait trop attendre, sont quelquefois obligés de se nourrir, pendant des semaines entières, avec le lichen qu’ils détachent de leurs rochers et qu’ils réduisent en bouillie. La culture de la pomme de terre, introduite dans ces montagnes depuis le commencement du siècle, a sans doute apporté quelque soulagement à cette misère ; mais, pour que ce soulagement fût complètement efficace, il faudrait que la pomme de terre pût croître sur le roc vif, la partie rocailleuse du pays étant à la partie cultivable comme 6 est à 1.

Cette extrême pauvreté a peut-être autant contribué que sa position au maintien de l’indépendance et des priviléges de ce pays alpestre, situé à l’écart des grandes communications européennes. Les inondations armées comme les inondations des fleuves respectent les lieux élevés ; au sein des hautes chaînes de montagnes il a donc existé de tout temps des petits corps de peuple que la conquête a ménagés ou négligés. Les conquérans ne se sont souvenus d’eux que lorsqu’ils étaient passés, et ils n’ont pas daigné retourner en arrière pour les soumettre. Ils ont mieux aimé leur laisser la liberté dont ils jouissaient que se détourner de leur chemin. Qu’avait d’ailleurs à gagner, avec ces misérables montagnards, le maître qui les eût conquis ? Au lieu de riches fermiers, de citadins opulens à pressurer, le conquérant lombard, allemand ou vénitien, le Gibelin ou le Guelfe n’eussent trouvé dans ces rochers que des pauvres à secourir. Aussi, loin de songer à les conquérir, à peine consentaient-ils à accepter leur soumission intéressée. Au moyen-âge comme de tout temps, le faible ne trouvait de sécurité qu’en s’appuyant sur le fort ; les pâtres des Sept Communes le savaient bien, mais il arriva souvent que le voisin puissant, auquel ils offraient la suzeraineté de leurs montagnes, se souciait peu de prendre sous son patronage des malheureux qui ne pouvaient lui payer tribut, ou s’il consentait à accepter cette onéreuse souveraineté, il leur laissait le soin de se régir comme ils l’entendraient. Un jour cependant le terrible Ezzelino de Romano eut la fantaisie de les soumettre ; le tyran de Vérone avait sans doute besoin de quelques esclaves de plus. Dans l’année 1240 il fit la conquête de ces montagnes au nom de l’empereur ; sa domination fut bien passagère, et sa mort, arrivée quelques années après, affranchit les citoyens des Sept Communes, qui désormais cherchèrent des protecteurs