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Il n’existe peut-être pas au monde de configuration de pays plus extraordinaire que celle de ce territoire montagneux. Les feux souterrains dont les explosions alimentaient autrefois tous ces petits volcans éteints qui composent la chaîne des collines euganéennes aux environs de Vicence et de Padoue, ont sans doute leur foyer sous ces montagnes. De terribles tremblemens de terre les agitent fréquemment, et dans des temps reculés, dont les hommes n’ont pas gardé le souvenir, ils les ont bouleversées de fond en comble. Des monts élevés, fendus de la base au sommet, se sont écroulés sur les vallées latérales que leurs débris ont obstruées ; les torrens, arrêtés par ces éboulemens, se sont fait jour à travers les montagnes, élargissant les fissures qui les sillonnaient profondément, et perforant à la longue leurs bases calcaires ou basaltiques. Ces chemins, frayés par les torrens, sont fréquentés par l’homme ; le voyageur qui ne pourrait franchir la cime escarpée des monts qu’avec des fatigues inouies, se glisse à la suite de ces eaux souterraines, et, profitant des conduits qu’elles ont creusés, se fraie, en suivant leur cours, un chemin dans ces abîmes.

La formation de ces montagnes est calcaire ; elles renferment des veines de fort beaux marbres de couleurs variées, et par places des bancs de basalte qui se dressent perpendiculairement à travers les lits horizontaux du calcaire. L’eau et le feu ont donc contribué à leur formation. Ce calcaire a de l’analogie avec celui du Jura, mais il paraît d’origine plus récente. Les moins compacts de ces rochers, ceux des couches supérieures, abondent en fossiles et en pétrifications de toute espèce ; les algues, les fucus, les coquilles et les poissons s’y trouvent en grand nombre ; les débris d’espèces plus avancées y sont fort rares ; c’est toutefois dans l’un de ces bancs de calcaire friable, et de dernière formation, qu’on a recueilli, aux environs de Gallio, la fameuse tête de crocodile anté-diluvienne.

Nous passâmes quelques jours fort bien remplis dans ces montagnes, faisant de longues excursions dans le val d’Assa, le val Varolla, les ravins de Campo-Longo, franchissant les cols de la Scaletta et de la Barcola et ne nous arrêtant que sur les cimes les plus élevées. Nous montâmes de cette façon au sommet du Portole, et nous vîmes au-dessous de nous les horribles abîmes du creux de l’Ours (Cavo dell Orso), et les vingt-trois cimes secondaires de la montagne, rangées autour de sa sommité principale comme les feuilles de la rose autour du bouton à demi épanoui. Du haut d’une autre éminence, le monte Sirrone, qui s’élève comme un obélisque solitaire au-dessus des pâturages de Ceresano et de San-Giacomo, nous aperçûmes, sous nos