Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/939

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
931
LES SETTE COMMUNI.

retour de ses courses, au lieu de visages joyeux et bienveillans, ne rencontra sur toutes les physionomies qu’une sorte d’ironique tristesse. Azolo fut bientôt averti, il observa et ne put douter de son malheur. Sa première idée fut de fuir et de délaisser l’infidèle ; puis il se rappela les railleries de ses compagnons, et ce souvenir fit naître la pensée de la vengeance. Une telle pensée grandit vite chez ces ames simples et presque sauvages ; à peine avait-il songé à la vengeance qu’il combinait déjà les moyens de la rendre éclatante et terrible. Il donna pour prétexte au trouble où sa découverte l’avait jeté le mauvais succès de ses dernières opérations, et le lendemain, au point du jour, il prit sa balle et partit. À peine sorti du hameau, il fit un long détour par la forêt, et revint se cacher, à peu de distance de sa maison, dans une fente de rochers masquée par des broussailles, d’où il pouvait tout voir. Vers le milieu du jour, sa femme sortit de son jardin, chassant devant elle quelques chèvres ; elle semblait préoccupée, et ne s’éloigna pas du village. Le soir était venu et le soleil s’abaissait, quand un homme s’approcha d’elle et lui dit quelques mots en passant ; cet homme, c’était Giacomo ; Azolo le reconnut sur-le-champ. Mélane rassembla ses chèvres et rentra précipitamment au logis.

La nuit commençait, quand Azolo sortit de sa cachette, se traîna à plat-ventre, comme un serpent, à travers les bruyères, et se rapprocha le plus possible de sa maison. Vers le tiers de la nuit, il aperçut un homme qui se glissait le long des murs, s’arrêtant souvent et regardant autour de lui comme pour s’assurer que personne ne le voyait. Arrivé près de la demeure d’Azolo, l’homme se retourna une dernière fois, jeta un regard en arrière, et, certain de n’avoir pas été découvert, il poussa doucement la porte entr’ouverte qu’il tira vivement sur lui, après être entré d’un seul bond. La porte n’était pas encore fermée qu’Azolo était debout, le poing serré, l’œil hagard, en proie à toutes les furies du désespoir, et ne respirant plus que la vengeance. Il la voulait effrayante et certaine ; il eut donc la force de la différer de quelques instans. Au milieu de la nuit, quand tout fut tranquille dans le hameau, Azolo entassa, sans faire de bruit, plusieurs gros fagots de bois sec devant la porte et sous la seule fenêtre de sa maison, construite, comme les châlets suisses et tyroliens, de planches et de rondelles de sapin, conservant encore leur écorce résineuse. Prêtant de nouveau l’oreille, et certain de n’avoir pas été entendu, il alluma des étoupes qu’il avait placées sous le bois sec, et sur lesquelles il avait répandu l’eau-de-vie dont sa gourde était pleine. La flamme s’éleva en pétillant et en un instant enveloppa le châlet.