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qu’ils font : la raison en est fort simple, de leur vie ils n’ont vu ni bateaux, ni gondoles. Notre ami le commandant Leonardo nous assurait qu’un jour, étonné de l’ignorance de l’un de ces ouvriers, qu’il questionnait à ce sujet, il voulut lui faire comprendre que ce qu’il faisait là n’était rien autre chose qu’un modèle de bateau. — À d’autres, lui répondit le paysan, en haussant les épaules, je sais parfaitement bien que ce sont là des chaussures pour les femmes turques ; mon maître me l’a dit.

Au-dessous d’Ennego, et à quelques lieues en avant de Bassano, on pénètre dans un défilé où la Brenta et le grand chemin du Tyrol se disputent, pour ainsi dire, le passage. Au centre de ce défilé s’élève un rocher de quatre à cinq cents pieds de haut, dont la face principale, qui regarde le torrent, perpendiculaire de la base au sommet, semble avoir été taillée et polie par la main de l’homme. À mi-hauteur de ce rocher, on voit une caverne spacieuse, et dans l’intérieur de cette caverne une espèce de petit château, où l’on ne peut arriver qu’en s’attachant à une corde et en se faisant hisser comme les moutons des Sette Communi ; c’est le rocher et le fort de Kofol ou Covolo. Ce fort est défendu par quelques pièces de canon et par une petite garnison. C’est le cas, ou jamais, de dire que sans la garnison la forteresse serait imprenable ; comment y arriver en effet, s’il n’y avait pas là-haut, des gens pour vous tendre une corde et vous hisser ?

Ce château, fameux dans le moyen-âge, sous les noms de Claustran ou Cubali, fut bien des fois assiégé, quoique pour le défendre, sa garnison n’eût qu’à retirer sa corde et à s’aller coucher. Aujourd’hui les boulets et les bombes ont un peu changé la question ; cependant, comme le rocher, dans lequel ses murs semblent incrustés, est percé de vastes souterrains, admirablement blindés par la nature, et renfermant les vivres et les munitions de la garnison, qui peut, au besoin, s’y retirer, comme en outre, un puits creusé au fond de la caverne, fournit abondamment une eau excellente, les assiégés pourraient laisser l’artillerie de l’ennemi démolir cette bicoque, qu’on appelle château, sans trop s’en inquiéter ; ils seraient toujours sûrs d’avoir de quoi boire et manger, et de ne pas coucher à la belle étoile.

Le fort de Kofol est donc imprenable comme par le passé ; malheureusement, placé comme il est, il ne défend ni ne protége rien, pas même le grand chemin des Sette Communi.


F. Mercey