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REVUE MUSICALE.

la Vestale de mettre un poème en musique, force lui est de payer ce poème de ses propres deniers. De là tant de colère et de menaces, tant de bruits et d’intrigues. Quel spectacle, en vérité, que celui d’un artiste célèbre qui lutte par le scandale contre la désuétude où sa gloire est tombée ! Comment M. Spontini ne comprend-il pas que s’abstenir de livrer à un musicien les poèmes convenus, c’est tout simplement une manière polie faire entendre à ce musicien qu’on ne se soucie pas de sa musique ? Et comment un artiste qui se respecte pourrait-il vouloir imposer son œuvre à des gens qui la répudient d’avance ? M. Spontini a rencontré dans sa vie une inspiration heureuse, une seule véritable bonne fortune. Quels sont, s’il vous plaît, les honneurs réservés aux grands maîtres, qu’il n’ait point reçus à l’occasion de ce chef-d’œuvre unique ? L’Institut de France lui a ouvert ses portes, à lui, Italien résidant en Allemagne ; le roi de Prusse l’a fait son maître de chapelle. Que demande-t-il donc ? Quelle fureur le tourmente ? Que lui faut-il encore ? Écrire ? Écrire, lorsque toute vocation s’est évanouie, occuper le public de sa personne, imposer ses œuvres au théâtre qu’elles ruinent ! Qu’il y a peu d’hommes qui sachent couronner leur carrière ! et combien, en face de si mesquins débats, la voix qui s’est tue après Guillaume Tell vous semble noble et digne ! — L’Opéra fait comme les Italiens, qui ont pour habitude de passer éternellement en revue le même répertoire, avec cette différence qu’ici nul attrait dans l’exécution ne relève la monotonie accablante d’un pareil système. Aujourd’hui on joue la Favorite, demain la Juive, puis Robert-le-Diable ou les Huguenots ; et, quand on a fini, on recommence : toutefois çà et là de piquantes intentions se révèlent, et l’affiche annonce tantôt que M. Marié remplacera Duprez dans Guido et Ginevra, tantôt que M. Alizard prend la partie de Baroilhet dans la Favorite. Que M. Marié paraisse dans Guido, rien de plus naturel ; Duprez succombe, chacun le sait, au terrible métier qu’on lui a fait faire, et le grand chanteur a tant prodigué les ut de poitrine, qu’il ne lui en reste plus à donner qu’un très petit nombre, qu’il ménage pour les soirées solennelles de Guillaume Tell ou des Huguenots. Mais comment s’expliquer M. Alizard dans la Favorite ? Il y a dans cette indigeste partition de M. Donizetti deux morceaux que le public entend avec plaisir : la cavatine de Baroilhet et son adagio dans le trio du troisième acte. Ces morceaux, pour lesquels le public endurait avec tant de patience les gammes chromatiques et les trilles de Mme Stoltz, voilà qu’on les supprime d’un trait. Nous ne parlons pas ici de la physionomie de M. Alizard, à qui son embonpoint semble désigner spécialement l’emploi des pères nobles ; mais il est impossible que ce chanteur se fasse illusion sur ses propres moyens au point de croire qu’il pourra jamais parvenir à remplacer Baroilhet. La voix de M. Alizard, puissante et sonore dans l’occasion, mais fruste et sans aucune espèce de flexibilité naturelle, ne saurait se ployer aux conditions de la méthode nouvelle importée d’Italie à l’Opéra par le jeune baryton. Cette voix, qui peut tenir très convenablement sa partie dans une scène de Gluck ou de Sacchini, ainsi qu’il lui est arrivé de le faire dernièrement au Conservatoire, n’entend rien à ces mille délicatesses,