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mérite de M. Auber, c’est de comprendre à merveille le genre pour lequel il écrit, de se contenter d’avoir de l’esprit et du goût dans une époque où le génie court les rues, en un mot de pouvoir composer un opéra comique, ni plus ni moins. Qu’on pense aux ressources de l’endroit, à ces petites voix qui fredonnent, à cette nécessité pour le musicien de modérer sans cesse les élans de son inspiration, d’être ici et point là, de ne se montrer qu’à de rares intervalles, et qu’on dise si pareille scène convient aux grands éclats dramatiques, aux grandes passions musicales. L’Opéra-Comique est un théâtre de fantaisie, le genre qu’on y exploite n’a de correspondant nulle part, ni dans la littérature ni dans la musique. Le Théâtre-Français a ses comédies, le Théâtre-Italien ses partitions ; ce qui n’est ni une comédie ni une partition, c’est un opéra comique, c’est-à-dire quelque chose qui se parle et se chante à la fois, quelque chose d’absurde qui doit vous amuser au moins deux heures. On dit que la pièce des Diamans de la Couronne est invraisemblable. Si vous l’accusiez d’être ennuyeuse, je concevrais le procès ; mais autrement, comment faire un pareil reproche à la pièce lorsque le genre est l’invraisemblance même ? Savez-vous rien de plus absurde au monde que cet assemblage de prose et de vers, de dialogues et d’ariettes ? Deux personnages sont en scène et causent assez raisonnablement de leurs affaires ; tout à coup les instrumens s’accordent, et voilà ces personnages qui se mettent à chanter comme des fous. Pourquoi la musique commence-t-elle ? pourquoi s’interrompt-elle ? Demandez au caprice du musicien. Nul mieux que M. Auber ne possède le secret d’intervenir à temps, avec mesure et discrétion ; ses opéras comiques, ses chefs-d’œuvre s’entend, le Domino Noir, l’Ambassadrice, les Diamans de la Couronne, passeraient au besoin pour les modèles du genre ; reste à savoir si le genre est bon. Oui, sans doute, tant que M. Auber chantera ; plus tard nous verrons. La pièce des Diamans de la Couronne a le bon goût et l’élégance qui distinguent d’ordinaire les faciles inventions de MM. Scribe et de Saint-Georges. Les scène se succèdent avec rapidité, les incidens se croisent et se combinent avec art, et d’un bout à l’autre de la soirée l’action ne languit point un seul instant. Cela se passe bien un peu dans un monde imaginaire ; mais que faut-il donc à la musique, si ce n’est des personnages et des actions de fantaisie ? Que m’importe que votre imagination se donne carrière, pourvu que le point de départ soit original ? Sur le chapitre de l’originalité, il y aurait peut-être à dire plus qu’on ne pense. Mais M. Scribe est ainsi fait : dès qu’une chose plaît au public, il faut qu’il la lui serve à toute occasion. Ainsi, le procédé mis en œuvre dans les Diamans de la Couronne est le même que celui du Domino Noir. Ici comme là, il s’agit d’un personnage mystérieux et qui devient toujours de plus en plus impossible à mesure que l’action se complique. M. Scribe bâtit ses pièces sur une situation, absolument comme Shakspeare et Molière conçoivent leurs chefs-d’œuvre sur une idée. Une fois l’idée mise en lumière, et quand ils ont prouvé ce qu’ils veulent, ces grands maîtres coupent court à l’action dramatique, et prennent sans façon le premier dénouement qui leur tombe sous la main ; de même, lorsqu’il a épuisé