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REVUE MUSICALE.

on ne saurait se décider. Celle qu’on vient d’entendre est toujours la plus belle, et de la sorte chacune, à tour de rôle, passe à bon droit et dans la même saison pour son chef-d’œuvre. Puisque nous en sommes aujourd’hui sur la symphonie pastorale, savez-vous quelque part une plus imposante musique ? a-t-on jamais chanté hymne plus majestueuse à la création ? Les oiseaux qui gazouillent, les cascades qui pleurent, les troupeaux qui bêlent, toutes les voix de l’aurore et du soir, tous les échos de la nature sont là ; vous entendez les mille bruits de la plaine et de la montagne, peu s’en faut que vous n’en respiriez les males odeurs. Un instant seulement l’homme intervient pendant le menuet, mais pour disparaître aussitôt sous les roulemens formidables de l’orage qui éclate avec une colossale puissance. Les élémens s’emportent, le tonnerre gronde, la tempête se déchaîne. Jamais l’épopée de la nature ne s’est élevée plus haut. N’a-t-on pas inventé dernièrement (que n’invente-t-on pas !) une machine à prendre la nature sur le fait ? Il y a pourtant de toute éternité quelque chose de plus beau que le daguerréotype et de plus fécond, le génie humain, où l’univers tout entier se reflète, et qui donne pour résultat, non plus une ombre inanimée et froide, mais l’ame même, l’œuvre vivante du Créateur. L’orchestre du Conservatoire exécute la symphonie pastorale avec son enthousiasme, son intelligence ordinaire, et toucherait à la perfection, si les instrumens à vent pouvaient ne pas faillir et se comporter à l’égal des instrumens à cordes. Il nous semble aussi que le mouvement du menuet se prend trop lentement ; à Vienne, où les traditions de Beethoven règnent encore, on mène ce morceau plus vite, et l’effet y gagne. Nous dirons en outre que la société des concerts devrait un peu songer à varier son répertoire. Ne prodiguons pas nos dieux, si nous voulons qu’on les honore, et n’oublions pas que c’est une des lois du sanctuaire de ménager l’exposition des objets sacrés. Pourquoi n’essaierait-on pas de cette symphonie de Schubert, récemment découverte, et qui vient d’obtenir tant de succès à Leipsig ? On a parlé aussi des entr’actes d’Egmont, dont on ne connaît en France que l’admirable ouverture. Un jeune musicien, qui se recommande non moins par la distinction de son talent que par son culte religieux pour les grands maîtres, l’auteur des plus charmans lieder qu’on ait écrits depuis Schubert en Allemagne, M. Dessauer, s’est chargé de procurer à la société non-seulement la partition de Beethoven, mais aussi les mélodrames composés à son sujet par Grillparzer. En produisant avant la clôture de la saison musicale cette pièce inédite en France du grand-maître, l’orchestre de la rue Bergère ranimerait à point cet enthousiasme, qui, tout religieux qu’il puisse être, veut cependant qu’on l’alimente de nouveautés.

M. Berlioz surveille à cette heure les répétitions du Freyschütz de Weber, car, il faut bien le dire, on travaille à la mise en scène du chef-d’œuvre. Lorsque Meyerbeer se retire, que M. Scribe s’abstient, que tous les élémens de fortune viennent à manquer, il faut bien avoir recours aux arrangemens, dernières ressources des théâtres qui tombent. Weber paiera pour tout le monde, tant pis pour lui. On sait que le Freyschütz est une partition de