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REVUE. — CHRONIQUE.

et de l’abnégation suffisent à l’ambition de l’héritier de Catherine. Que Dieu lui donne satisfaction !

En attendant, le divan, sous les inspirations toujours tracassières et brouillonnes de lord Ponsonby, ne tient aucun compte du traité du 15 juillet, ni des conseils de ses puissans alliés. Maintenant qu’il a retiré des mains de Méhémet-Ali la Syrie et la flotte turque, il veut lui imposer les conditions les plus iniques et les plus humiliantes. Il veut déshonorer les cheveux blancs du pacha et réduire le vainqueur de Nézib au rôle d’un fonctionnaire de la sublime Porte. Disons notre pensée tout entière : nous n’en sommes pas blessés à l’endroit de Méhémet-Ali ; nous serions plutôt charmés de le voir acculé entre l’infamie et l’énergie, curieux de savoir une fois s’il était réellement un homme de quelque valeur. Certes, s’il se résigne aux conditions qu’a dictées la haine de lord Ponsonby, s’il ne se rappelle pas qu’il possède encore un état et une armée, et que même dans l’intérêt de sa famille une résistance désespérée vaudrait mieux, qu’elle lui donnerait plus de chances de succès qu’une lâche soumission, il sera démontré pour nous que le Napoléon au petit pied de l’Orient n’était qu’une création fantastique de la presse, qu’une hallucination de quelques voyageurs. Toute idée d’héroïsme et de dignité à part, le pacha ne comprendrait pas la situation des choses en Europe, s’il craignait, par sa résistance à une pareille iniquité, de ramener sur les côtes de l’Égypte les flottes combinées des puissances, s’il croyait qu’on ira bombarder Alexandrie et conquérir l’Égypte pour soutenir les hardiesses posthumes du divan et les nouvelles extravagances de lord Ponsonby. L’Europe n’en veut pas davantage : elle ne recommencera pas une expédition en Orient ; elle ne veut pas que des oreilles, qui pourraient enfin s’en blesser, y entendent de nouveau le bruit du canon anglais ; il a été suffisamment entendu à Sébastopol à Toulon. Ce sont des émotions qu’il ne faudrait pas renouveler. Derrière la diplomatie il y a partout, même en Russie, le gouvernement de l’intérieur, et derrière le gouvernement, le pays. Nous sommes convaincus que la diplomatie désapprouve sérieusement les prétentions de la Porte.

Il est probable qu’on la déterminera à biffer les clauses injurieuses qu’elle vient d’ajouter à l’investiture du pacha. Dans tous les cas, si le pacha résiste, les puissances n’épouseront pas la cause du sultan. Elles regarderont le différend comme une querelle d’intérieur, étrangère à la politique européenne, et ne pouvant, quelle qu’en soit l’issue, toucher à la question de l’intégrité de l’empire ottoman. Les puissances veulent en finir avec le traité du 15 juillet ; elles désirent ardemment pouvoir le regarder comme un fait accompli, et en conséquence comme un document purement historique et sans autre influence sur la marche ultérieure des affaires européennes. C’est une convention boiteuse dont on voudrait faire oublier l’existence. On comprend les causes de ce désir. Nous ne reviendrons pas aujourd’hui sur une question que nous avons souvent examinée. Nous croyons que nos dernières conjectures étaient fondées ; encore une fois, il serait aussi injuste que téméraire de vouloir aujourd’hui