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VINETTI.

sur la côte, et fis transporter ici les deux cadavres, que je voulais ensevelir moi-même. En le déshabillant, j’ai trouvé sur son cœur ce portefeuille que je me propose de lire plus tard ; l’écriture ne paraît pas avoir beaucoup souffert ; peut-être ces tablettes jetteront-elles quelque clarté sur les mystères de sa destinée.

À ces mots, le digne vieillard termina son récit, et comme nous étions déjà fort avant dans la nuit, il se retira dans sa chambre, après m’avoir confié le portefeuille et les lettres. J’emportai ces papiers dans la petite chambre qu’on m’avait indiquée, et je trouvai bientôt un tel intérêt à ces annales, que je passai la nuit à les lire.

Le lendemain, j’obtins du pasteur la permission d’en prendre copie, et comme elles sont un complément indispensable à cette histoire, je me félicite de pouvoir vous les communiquer.

III.


JOURNAL DE SEPH.
À bord de l’Orient, 7 juin 1798

L’Égypte ! en Égypte, l’antique patrie du mythe ! est-ce donc là ce que voulait ma destinée ? Lorsque les bohémiennes chantaient devant notre tente pendant ma nuit de noce : « Le roi Ickso et la fille des Pharaons, après avoir erré trois mille ans parmi les peuples, vont rentrer en Égypte dans leur beau palais de granit rose, » je tenais tout cela pour des contes extravagans ; maintenant je crois à cette histoire. — Ma pauvre, ma pauvre femme ! — Elle s’appelait Vinetti-Sung, dans la langue des Bohêmes, quelque chose comme Fleur Bleue. — Entendez-vous tonner la canonnade ? Quel spectacle ! Notre flotte française passe devant les côtes de Sicile, avec trois cents bâtimens pavoisés, et au milieu, comme un despote impérial, l’Orient aux cent vingt bouches de feu. L’Etna pâlit d’épouvante. Une ville tout entière qui flotte sur les eaux ! France et Bonaparte ! Arrière, vous, pauvres songes d’Allemagne !

1er  juillet, neuf heures et demie du matin.

L’Égypte ! Quel nom ! L’Égypte, c’est-à-dire tout un monde nouveau, toute l’histoire du mystérieux monde antique ! Là bas, Alexandrie sort toute blanche du sein des vagues, Alexandrie avec ses mosquées et ses minarets. Nous portons César et sa fortune !