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général Ravieski pour délibérer sur des mesures de pacification à adopter, il y avait eu une telle diversité d’avis, que l’assemblée s’était séparée sans rien résoudre, ne voulant admettre la pacification que lorsque les Russes s’engageraient à ne pas relever les forteresses détruites. Les hostilités continuaient donc ; mais les Russes, occupant quelques points du littoral, n’osaient s’avancer dans l’intérieur. Les garnisons des forts, recevant leurs provisions par mer et souvent à de longs intervalles, souffraient beaucoup du scorbut et des fièvres malignes.

Le général Ravieski me raconta la triste scène dont en juin 1838 il avait été le témoin. Plusieurs bâtimens de guerre étaient mouillés dans la baie d’Anapa, lorsque survint une tempête si violente que tous furent jetés à la côte. Le général vit les matelots se noyer sous ses yeux sans pouvoir leur porter secours ; le vent empêchait qu’on pût mettre un seul canot à flot ; les Circassiens descendus des montagnes enlevaient les hommes qui se sauvaient à terre. Une frégate à vapeur, nouvellement arrivée d’Angleterre, dut chauffer pour pouvoir se maintenir sur ses ancres. Malgré la force des machines, elle fut aussi jetée à la côte et perdue entièrement. Plus de douze vaisseaux de ligne, frégates et corvettes, et deux bâtimens à vapeur, firent naufrage sur les côtes de Circassie, brisés par cet ouragan dont la violence défie toute description. Les Circassiens emmenèrent un grand nombre de prisonniers et enlevèrent toutes les provisions, tout l’argent et le fer des bâtimens qui, ne se trouvant pas sous le canon des forts, vinrent se perdre sur leurs côtes. La Russie perdit ainsi, en quelques heures, des sommes immenses, et les Circassiens, exaltés par le malheur qui venait de fondre sur elle, considérèrent cet ouragan comme une punition du ciel infligée aux ennemis de leur indépendance.


Entré en Géorgie au mois d’août 1840, j’avais consacré trois mois à parcourir les différentes divisions du Caucase, consultant toutes les personnes qui pouvaient me donner des renseignemens sur ces pays, que je désirais connaître. Les Russes enveloppent leurs expéditions dans le Daghestan et la Circassie du mystère le plus complet ; on ne parvient que rarement à connaître sur ces guerres une partie de la vérité. Pourtant, de l’opinion émise par tous les généraux et officiers, du mécontentement général que j’ai remarqué, j’ai dû conclure que les Russes étaient entrés dans une mauvaise voie d’où ils ne pourront sortir qu’en accordant aux peuples du Daghestan et de