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LA DIVINE ÉPOPÉE.

Un personnage d’invention, Sémida, antithèse d’Ève, dernier effort de la nature expirante, qui réunit en elle seule toutes les perfections de la femme, la seule qui eût pu sauver le monde et devenir la mère d’une nouvelle humanité, s’ennuie beaucoup dans le paradis de M. Soumet. Elle regrette la création évanouie, songe disparu d’un Dieu qui s’éveille à l’aurore de l’éternité ; elle seule, parmi tous les bienheureux, n’a pas perdu le souvenir ; Marie-Madeleine, la plus compatissante de toutes les saintes, en sa qualité de grande repentie, s’inquiète de la mélancolie de Sémida, qui exhale sa tristesse en jouant de la viole au pied d’un mélodore, et elle l’interroge doucement sur la situation de son cœur. Sémida lui raconte que, même dans les splendeurs célestes, il est un nom qu’elle ne saurait oublier, et elle demande à la sainte de prier pour elle ; à quoi Madeleine répond fort judicieusement que les élus ne peuvent pas prier l’un pour l’autre, et qu’elle s’adresse au Christ, le grand consolateur des affligés ; Sémida suit ce conseil et dévoile à Jésus les tristesses de son ame ; elle lui avoue qu’elle adore toujours Idaméel, l’amant auquel elle a si vertueusement résisté sur la terre, que le monde en a fini. Or, cet Idaméel n’est autre que l’Antechrist, le dernier né du Caucase, un Prométhée, plus impie et plus audacieux encore que le Prométhée antique ; Idaméel est irrévocablement perdu, il a lutté avec Dieu et détrôné Satan dans l’enfer ; à moins que Sémida ne descende comme Éloa sa cousine vers les sphères infernales et les régions maudites, il n’y a guère de probabilité que les amans se rencontrent jamais. Une grande pitié s’émeut dans l’ame de Jésus à l’aspect de cette douleur que ne peuvent consoler les félicités éternelles ; il prend subitement une grande résolution, et monte l’escalier symbolique qui conduit dans les abîmes de l’incréé. Ô prodige ! À chaque pas qu’il fait, les stygmates de ses anciennes blessures reparaissent, son flanc saigne, la couronne épineuse de la passion se mêle aux rayons de l’auréole. — Tous les cieux gémissent dans une attente pleine d’anxiété ; les chérubins voilent leur face du bout de leurs ailes ; la sainte Vierge sent se rouvrir les cicatrices faites par les sept pointes du glaive des douleurs, car une résolution terrible et suprême vient d’être prise dans le triangle mystérieux, celle du rachat de l’enfer ! Si nous étions des théologiens, nous tancerions d’importance cette imagination qui sent l’hérésie d’une lieue à la ronde, et qui, au moyen-âge, eût fait brûler très proprement tout vif l’auteur qui s’en serait avisé ; mais nous ne somme qu’un poète, et nous nous contenterons de relever les hérésies poétiques de M. Soumet, qui sont assez nombreuses.