Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
REVUE DES DEUX MONDES.

murmure Roberpierre, qui m’accorde ma grace. Peu satisfait de cette triple solution, Idaméel conduit l’inconnu vers Satan, qui n’hésite pas une minute et crie aux réprouvés : — Mes fils, c’est Jésus-Christ. — Ah ! dit Idaméel, l’ennui du paradis te pousse jusqu’aux enfers. Tu veux essayer de nos supplices et connaître aussi l’infini des douleurs, tu seras satisfait. Nous allons exercer notre savoir-faire sur toi, et tu vas voir comme ton père nous apprit à punir. — Le chant se termine sur cette menace impie. — L’autre chant, intitulé : le Drame, nous fait voir Sémida dans le paradis, soutenant un dialogue fort coquet d’abord avec la viole céleste, ensuite avec Marie-Madeleine. L’absence du Christ étonne et inquiète les élus ; qu’est-il devenu ? Dans quel coin de l’éternité et de l’infini se cache-t-il ? Sémida veut aller à sa recherche, et elle part accompagnée d’Ève et de Méhala, car Marie-Madeleine, avec sa foi imperturbable, a préféré attendre son bien-aimé comme autrefois, lorsqu’elle s’assit sur la pierre du tombeau, certaine qu’il reviendrait. — Les trois bienheureuses descendent perçant les voiles d’hyacinthes de tous les paradis, et arrivent bientôt aux limites de la béatitude. Ève et Mehala, effrayées du vide incommensurable qui s’ouvre devant elles, refusent d’aller plus loin ; mais Sémida, entraînée par son amour, continue à descendre ; elles descend si bas, que son ange la quitte et remonte. Sémida, craintive, s’arrête un moment sur le bord du chaos, et, dans une langoureuse élégie, invite son infernal amant à venir la rejoindre ; elle est si près de l’abîme, que son chant parvient à l’oreille du maudit.

Idaméel a reconnu la voix de la sainte, et il s’avance jusqu’aux limites du chaos, à l’endroit extrême où l’atmosphère cesse d’être respirable pour lui, car l’air de la vie le tuerait. Il ne peut exister que dans la mort. Il s’établit entre l’élue et le réprouvé un dialogue mélangé d’amour et de reproches ; le démon se montre fort jaloux de l’ange Éloïm, qu’il menace de plumer tout vif s’il le rencontre jamais sur son chemin ; il accuse, ce qui est une fort bonne méthode, la pauvre Sémida de ne l’avoir jamais aimé, et d’avoir, par ses scrupules de dévote, tué en germe l’œuvre de son génie : Sémida se défend de son mieux, et tâche d’inspirer au réprouvé des sentimens de repentir ; elle lui conseille de s’adresser au Christ pour obtenir sa grace. — Ton Christ, répond Idaméel entr’ouvrant les voiles du chaos, il est ici prisonnier dans mon enfer. Regarde-le ; il ne peut rien ni pour toi ni pour moi. Sémida, éperdue, veut voler vers le divin martyr, qui lui crie : — Remonte, Sémida, remonte chez mon père ; n’ajoute pas à mes douleurs le poids de ta rédemption : le